Conclusion

En guise de conclusion pour une partie dans laquelle il apparaît que l'heure est au désenchantement, présentons quelques commentaires qui, avec des expressions variées, s'avèrent être un reflet significatif du ressenti exprimé dans l'enquête.

« J'aime toujours autant mon métier, depuis 6 ans que j'ai débuté, et je n'ai pas de crainte sur l'avenir de la profession. Par contre, le quotidien parfois pénible et le manque de considération m'agacent et me donne envie parfois de tout arrêter. Heureusement, les bons côtés motivent et redonnent le sourire de temps à autre. Je suis également pour les combats de la profession sur les manques non comblés depuis la création du CAPES en 1989 : l'agrégation, le manque d'évolution possible par rapport à nos autres collègues profs, la différence de salaires et de primes qu'il est possible de toucher, toujours en comparaison à nos autres collègues (prime de PP, heures sup, orientation etc.), la clarté de nos missions et le fait que personne ne veuille toucher à notre circulaire de missions... entre autres. Je suis prof-doc en lycée, la réforme du collège ne me touche pas directement mais je comprends bien entendu tout ce qui en découle. » Lycée GT public, Acad. de Nice

« J'ai choisi cette profession en particulier parce que la multiplicité des missions du professeur documentaliste m'intéressait. Mais force est de constater que la dimension d'enseignement est en train de disparaître : demande-t-on aux profs de lettres de convaincre leur direction et leurs collègues du bien fondé de l'apprentissage du français, de sa maîtrise à l'oral comme à l'écrit... et donc de réclamer des heures pour pouvoir exercer leur métier ? A entendre les échos de mes collègues dans d'autres établissements ou à lire les messages sur les listes de diffusion professionnelles, c'est pourtant ce qu'il advient des (feux) "professeurs" documentalistes. Dans mon cas, mon principal refuse que je maintienne les heures d'enseignements, telles qu'elles étaient les années précédentes (1/2 classe tous les 15 jours), sous prétexte "officiel" qu'on ne peut dépasser les 26 heures /semaine ; le prétexte "officieux" mais avoué, étant qu'il n'est pas question de récupérer les heures d'enseignement en 1h=2h (ce qui n'était même pas une demande de ma part, mais il dit qu'il ne veut pas déroger au décret ...) Bref, CDI, centres de ressources OUI, mais CDI, lieu d'apprentissage NON. » Collège public, Acad. de Lille

« Une placardisation certaine en vue pour garderie CDI. Des mots durs en début d'année de la part de la hiérarchie, une remise en cause de mon sérieux et de mon professionnalisme. Bilan : un arrêt de travail pour état anxiodépressif juste avant les vacances de la Toussaint. Gros malaise dans la profession, en attente de la circulaire à venir mais peu d'envie de rester dans une profession qui n'apportera plus rien aux élèves ni aux profs docs, sentiment général me semble t-il. » Collège public, Acad. de Toulouse

« Je suis dans la profession depuis 2005. Je l'ai toujours vue dans un trouble "identitaire". C'est la première fois que je ressens le doute. La coupure du dialogue l'an passé avec les collègues submergés par la réforme, la volonté de la réforme de diluer nos spécificités entre tous les enseignement m'a dépossédé de mes repères. Personne ne me demande d'enseigner les maths ni l'histoire mais tout d'un coup tout le monde peut enseigner la recherche documentaire ou l'EMI. C'est très déstabilisant. Alors que la réforme me met au centre de tous les projets par ma spécificité et ma pratique professionnelle, j'ai l'impression que les collègues se détournent de moi... pour garder leurs prérogatives sur leurs groupes classes ? Je serai trop omniprésente dans leurs enseignements sinon? J'ai du mal à me repérer. Je me demande parfois si on va fermer les CDI. Mais je constate que le nombre de postes au CAPES est plutôt encourageant. Je regarde les épreuves du CAPES, elles ne me semblent pas coller avec la réalité du terrain ni avec la lettre de rentrée des inspecteurs. J'avoue ressentir un malaise. Il m’apparaît que mes collègues profs doc ont aussi passé une année difficile. Laisser décanter tout ça. » Collège public, Acad. de Lyon

« Il devient urgent d'être enfin inspecté par des personnes compétentes, nos inspecteurs n'ont rarement voire jamais exercé notre métier ; ils ne peuvent donc pas être des conseillers. Au fil des réformes, on nous demande d'ouvrir de plus en plus le CDI (voire de le faire ouvrir par n'importe qui) tout en prenant en charge la formation d'élèves (sans impact sur la DHG donc parfois on est vu comme des bouches trous de profs) sans nous donner réellement les moyens d'avoir une progression et un cadrage nationale et en assurant de nombreux domaines dont on ne sait pas à qui les confier (référent culturel, référent numérique...). Et comme nous sommes souvent seul dans un établissement avec des collègues qui ne saisissent pas forcément toutes l'étendue de nos missions et une inspection qui ne défend jamais la profession mais cherche à nous mettre du côté administratif (nombre de réunions communes CPE/prof doc), on négocie, on se vend et parfois on craque (on accepte des choses qu'on ne devrait pas pour avoir un peu la paix) ou on se met à dos tout le monde pour défendre notre si beau métier de professeur-documentaliste. Le pire c'est que les situations sont tellement variables d'un établissement à un autre, qu'on en vient à exercer des métiers parfois un peu différents et que sur la liste de diffusion il arrive souvent que ceux qui sont fiers d'être enseignant et le revendiquent s'affrontent avec ceux qui se voient seulement comme des documentalistes, sans parler des ressources humaines qui n'existent pas dans l'EN et qui poussent dans les CDI des personnes non formées et ou en dépression, ce qui nuit un peu plus à notre métier. » Collège public, Acad. de Grenoble

« Il continue d'y avoir un recrutement marginal de personnes non formées à la documentation et inaptes à faire cours devant les élèves. Cette persistance contribue à la mauvaise image de "la dame du CDI" qui n'est pas considérée comme enseignante par les élèves et si peu par les autres collègues. 25 ans après il faut encore lutter pour faire reconnaître notre statut et nos missions. » Lycée GT public, Acad. de Poitiers

« Le métier de professeur documentaliste est multiple. Il faut établir un équilibre entre les différentes tâches qui incombent à ce professeur "spécial". Le tout pédago avec programme et classes dévolues n'est pas souhaitable. A l'inverse, prétendre que tous les professeurs peuvent exercer ses missions pédagogiques est un tour de passe passe pour se débarrasser d'une profession encombrante : soit on dit que l'info-doc est une discipline et il faut multiplier les postes de personnes compétentes, soit on veut reconvertir des profs jugés incapables de ou trop vieux (et il y en aura de plus en plus...) pour tenir des classes et on les place dans les CDI. Soit, enfin, on a besoin d'une personne pour superviser (évaluer et suivre) la réforme et on rend le prof doc comptable de la mise en œuvre des AP et EPI en prétendant qu'il est expert... Qu'on nous attribue alors un statut (supérieur aux autres profs, agrégé+++) et une rémunération à la hauteur ! Car il est certain que suivant les équipes et les établissements, les élèves ne bénéficieront pas tous de la même qualité de formation sur ces dispositifs... » Collège public, Acad. de Lyon

« Ce que je crains le plus pour l'avenir de la profession est que nous soyons de plus en plus écartés de la formation des élèves car c'est l'aspect qui m'intéresse le plus ainsi que la médiation culturelle. Dans le cadre des journées sur l'EMI obligatoires ici, certaines collègues ont été sollicitées pour faire de la formation d'enseignants, je considère que ce n'est pas du tout notre rôle et qu'il s'agit d'une dérive. » Collège public, Acad. de Rennes

« Pour l'instant dans mon établissement tout va bien, j'ai fait mon nid depuis 12 ans que j'y travaille. Mais pour autant nous avons toujours une épée de Damoclès sur la tête car nos statuts peuvent être interprétés de différentes façons, on peut tomber sur un principal ou un CPE délirants. On marche toujours sur des œufs avec l'administration, les collègues. On doit toujours s'imposer, prouver, démontrer. C'est épuisant mentalement. Et puis on a des IPR qui ne connaissent pas notre métier, qui nous prennent pour des larbins, les réunions avec eux sont fatigantes tellement on avale des couleuvres et on se retient. Et avec la réforme leur suffisance et leur mépris a augmenté. Ils ne nous soutiendront pas pour les heures 6ème ou pour quoi que ce soit. Nous continuerons à revendiquer durant les réunions de bassins avec eux même si à chaque fois ils nous disent que ce n'est pas le lieu pour débattre. Je voudrais enfin avoir des IPR venus de la documentation, que les chefs d'établissement soit informé sur nos statuts et que l'on soit traité de la même manière au niveau national. » Collège public, Acad. de Grenoble

« Merci pour cette enquête. Il faudrait aussi demander au ministère qu'une enquête nationale soit faite par des professionnels (sociologues ?) indépendants, avec garantie de transparence, sur les conditions du métier de prof-doc. Elle porterait sur les vrais besoins des élèves, sur les connaissances et capacités réelles des autres personnels disciplinaires en matière d 'info-doc (à qui on délègue cet enseignement). L'enquête établirait que le pouvoir des hauts fonctionnaires et inspecteurs qui rédigent la nouvelle circulaire ou contrôlent les professeurs documentalistes est démesuré comparé à leur absence de titres, diplômes, expériences et connaissances en sciences de l'information et en pédagogie. Sur le plan intellectuel, leur légitimité est nulle, leurs prescriptions (politique documentaire, 3c etc) ne reposent sur aucun travail scientifique et sur aucune étude fiable mais sur des présupposés et des dogmes, donc sur une approche idéologique de l'éducation. Imagine-t-on que le programme et le métier des profs de maths soient prescrits par des des IPR vie scolaire qui n'auraient jamais enseigné, n'auraient aucun diplôme ni concours en mathématiques ? » Collège public, Acad. de Nantes

« Dans l'Académie de Créteil nous subissons un véritable fléau des prof doc contractuels. Dans beaucoup d'établissement cela entraîne un mauvais suivi d'une année sur l'autre et de gros problèmes de gestion. Un exemple ma stagiaire se trouve dans un établissement où les docs précédents n'ont jamais catalogué les documents, ceux ci étaient mis en rayon tel quel et prêté de la même façon avec aucun suivi des retours. La majorité des contractuels que j'ai rencontrés n'ont aucune formation et sont là pour les mauvaises raisons. Ils ne mènent aucune séance et ne connaissent même pas le référentiel des compétences en info doc. Dans ma ville 90% des docs sont contractuels. En reconversion, ne voulant "plus voir d'élèves", ne voulant "plus avoir du travail à la maison"... Quelle image cela renvoie de nous auprès des collègues ? C'est catastrophique. Ces gens ont le droit à une seconde chance certes mais pas au détriment d'une profession. Vraiment c'est déconcertant, je me bats chaque jour pour faire reconnaître mon travail et chaque année je vois arriver à mes côtés un collègue qui se contente de surveiller les élèves, ne menant aucune séance sur l'année et gérant à peine le fonds et autres activité liées au métier. Je suis toujours volontaire pour les aider à se former mais les réponses qui me sont faites sont affligeantes : "ah bon ? tu fais des fiches pédago pour tes séances ?", "mais pourquoi tu as demandé à avoir l'AP c'est beaucoup de travail"... au fur et à mesure de l'année je les vois découvrir ce qu'est le métier et bien souvent se planquer de plus en plus derrière le bureau ou vers la pause clope. Alors je tiens à préciser que je rencontre aussi des contractuels excellentissimes, généralement ils finissent par passer le concours. Mais à mon grand désarroi ils sont trop peu nombreux. Cela joue sur notre image et donc nos revendications quant au métier, nous ne sommes pas pris au sérieux. » Collège public, Acad. de Créteil

« La difficulté de notre métier, par ailleurs extrêmement intéressant, varié, riche, et que je continue d'apprécier, vient du fait qu'on essaie de se prendre pour des professeurs comme les autres. Certes, nous avons un CAPES, mais j'ai choisi ce métier pour être autre chose que professeur de documentation. Nous avons une grande liberté : pas de programme, pas de progression. Nous pouvons offrir à nos élèves un lieu et des compétences pour un autre apprentissage, pour une autre façon de travailler. Un lieu qui sert de refuge à bien des enfants. J'aime travailler en collaboration avec mes collègues, je ne me sens pas humiliée de le faire, j'aime avoir du temps pour travailler avec les élèves. Je n'envie pas mes collègues qui courent après les programmes, qui ont 29 voire 30 élèves en 6ème. Je suis contente de proposer autre chose aux élèves. Arrêtez de croire que nous pouvons former tous les élèves d'un établissement à l'EMI, et s'occuper aussi du parcours avenir, de l'art, du citoyen, cela ne sert qu'à nous culpabiliser, d'autant plus qu'il faut assurer aussi la gestion du CDI, l'ouverture et l'accueil, les manuels scolaires (et oui, ce fardeau, malgré une très bonne collaboration avec la vie scolaire dans notre établissement repose sur nos épaules) les préparations des sorties culturelles , l'aide aux élèves, la promotion de la lecture... » Cité scolaire publique, Acad. d'Aix-Marseille

« Ce métier est une souffrance permanente. Les élèves nous considèrent comme des prestataires de services, la plupart des collègues méconnaissent notre rôle, et nous mettent systématiquement (mais involontairement) devant le fait accompli ou nous court-circuitent, en donnant d'office aux élèves la consigne de faire leurs recherches sur internet, en leur donnant des adresses de sites, ce qui fait que notre rôle d'éducation à l'information et à la recherche documentaire ne peut plus s'exercer. Les rares collègues manifestant un intérêt pour notre rôle se découragent de nous associer à leurs projets, car notre mission d'accueil (surveillance de travaux finis, prêt-emprunt à la chaîne, ouverture-fermeture des portes des salles attenantes, responsabilité de la bonne tenue du matériel et des locaux (dont toilettes publiques) ne laisse aucune marge de répit pour la moindre concertation et encore moins pour une intervention en face à face avec les classes. » Cité scolaire publique, Acad. de Grenoble

« L'avenir de notre profession, celle de "professeur-documentaliste" me semble clairement compromis. J'ai choisi de ne pas baisser les bras et n'ai cessé depuis février 2016, moment où j'ai senti tourner pour nous le vent de la réforme, de solliciter, préparer, proposer aux collègues du collège différents leviers pédagogiques : progression sur 4 ans de l'EMI, les intérêts de ma progression info-doc 6ème et de la collaboration disciplinaire nécessaire et riche... Je suis allé jusqu'à quémander en conseil d'enseignement et en conseil pédagogique toute heure que voudrait bien me céder qui que ce soit afin de pouvoir faire ce qui est inscrit dans le socle commun même...etc. Je ne compte plus le nombre de fois où l'on m'a rétorqué : "Mais voyons F***, vous n'avez pas d'heure prévue dans la DGH ! La Documentation n'est pas reconnue comme une discipline ! ...etc... En fait, se battre pour le décompte de nos heures d'enseignement me semble mettre la charrue avant les bœufs car c'est plutôt d'un cadre horaire d'intervention dont nous avons besoin, clairement reconnu et institué. Et les discussions autour de la nouvelle circulaire de nos missions ne semble CLAIREMENT pas prendre cette direction. Pour conclure ces quelques mots lâchés sans recul avec 25 élèves autour de moi, je tiens tout de même à vous remercier pour votre travail extraordinaire sans lequel j'aurais sans doute déjà démissionné il y a 4 ans lorsque ma demande de changement de discipline (Doc ==> vers Histoire-Géo) a été repoussée. » Collège public, Acad. de Toulouse

« Dans mon académie, nous sommes 3 contractuels à présenter le capes interne documentation cette année. Les autres candidats sont des titulaires souhaitant changer de corps (du primaire au secondaire) ou des CPE. Le milieu des profs docs reste trop hétérogène, les pratiques trop différentes d'un établissement comparable à un autre. Les profs docs sont aigris et passent leur temps à geindre dans les réunions de bassin. Très peu seraient capables de mener à bien une progression curriculaire et le MEN le sait bien. Les mieux formés et les plus militants (pour une didactisation des savoirs info-docs, pour prendre à bras le corps l'EMI) sont très minoritaires dans notre Académie. Sur le terrain, la situation que j'observe depuis quelques années évoque autant de disparités qu'un haut et un bas clergé à l'époque médiévale. Contractuel, je suis un soutier pathétique dans une profession qui n'a jamais su se construire autant par un manque de volonté institutionnelle patent que par une indigence des profs docs sur le terrain, toujours présente. Les profs docs certifiés sont largement majoritaires depuis quelques années : où sont les résultats ? » Lycée professionnel public, Acad. anonymée

« En tant que pionnière des enseignants documentalistes (obtention du premier CAPES en 1990) j'ai toujours vécu ma fonction avec enthousiasme et militantisme, convaincue du bien-fondé de ce métier et de sa nécessaire transversalité (26 ans avant la réforme !). Tout était à prouver, au premier rang notre mission pédagogique après des années de collègues placés dans les CDI pour des motifs plus médicaux que professionnels... Je n'ai jamais compté mes heures et mon temps au CDI est alors plus proche des 40 h que des 30 h... La spécificité de la fonction, son aspect gestionnaire, sa dynamique de projet, ont souvent été à l'origine de propositions et d'actions pérennes dans les différents établissements fréquentés. A plusieurs reprises, et avec l'accord de l'IA-IPR EVS, j'ai été professeure principale. Mais que de tracasseries et de hiatus administratifs : vous êtes titulaire d'un CAPES, donc vous êtes enseignante et pouvez prétendre à ce rôle... mais vous êtes documentaliste donc vous ne pouvez pas toucher d'indemnité pour cette mission... Idem pour les nombreuses heures d'enseignement assurées (préparation, animation et évaluation comprises) non reconnues officiellement. Une circulaire de mission antérieure à la création du CAPES et des interprétations variées des textes et de leur possible évolution... Jusqu'au récent courrier de la Ministre de l’Éducation nationale récusant le bien-fondé de notre rémunération quant aux missions pourtant effectives dans les EPLE en matière d'EMI, d'AP et EPI. Là encore, notre expertise est louée et utilisée à des fins organisationnelles mais pas de possibilité de reconnaissance dans un binôme, tout au plus un trinôme, à la marge une nouvelle fois... Quid de l'agrégation ? Pourtant avec l'évolution technologique de notre enseignement et de notre société, l'information-documentation est bien reconnue comme une discipline, non ? A quand un corps d'inspection spécifique et non assimilé à l'EVS, souvent juge et partie... Vaste chantier auquel je crois encore mais avec beaucoup de méfiance voire de défiance vis-à-vis de notre institution. » Collège public, Acad. de Grenoble