2017
avr.
1er

Nouvelle circulaire de mission(s) des professeurs documentalistes


Analyse critique de l’A.P.D.E.N.

La nouvelle circulaire de mission des professeurs documentalistes a été publiée au Bulletin Officiel ce 30 mars 2017 [1]. La parution de ce texte, attendu depuis 1989 et objet de maintes tentatives de réécriture avortées au fil des années, est en elle-même un évènement majeur pour la profession, pour lequel l’A.P.D.E.N. milite depuis ses origines. Il n’était plus soutenable que la mission des professeurs documentalistes soit toujours définie par des dispositions vieilles de plus de 30 ans, antérieures à la création du CAPES et s’adressant aux personnels exerçant dans les centres de documentation et d’information, et aux documentalistes-bibliothécaires. Les évolutions du contexte informationnel et médiatique, les avancées de la recherche et des pratiques professionnelles des professeurs documentalistes exigeaient d’être enfin prises en compte.

La profession attendait de ce nouveau texte qu’il clarifie sans ambiguïté le profil du métier. Qu’en est-il réellement ? L’A.P.D.E.N. estime que la profession ne peut faire l’économie d’une lecture critique, rigoureuse et exhaustive, de cette nouvelle circulaire. En effet, malgré les nombreuses objections formulées à l’occasion de la dernière étape du processus de réécriture, et conformément à ce qui avait été annoncé aux syndicats à l’issue de l’ultime réunion, les amendements opérés sur le projet 3 pour arrêter la version officielle de la circulaire de mission sont anecdotiques. A tel point que nous aurions pu, à peu de choses près, nous contenter de renvoyer le lecteur à l’analyse critique, publiée par l’A.P.D.E.N. [2] à la veille de la dernière réunion du groupe de travail ministériel en charge de la réécriture de la circulaire [3], de ce qui n’était encore, alors, qu’un projet.

Un contexte de publication marqué par la précipitation.

En l’absence de dispositions spéciales, un texte officiel entre en vigueur le lendemain du jour de sa publication au journal officiel (article 1er du code civil) : les dispositions parues ce 30 mars engagent ainsi la profession dès à présent et, gageons-le, pour de nombreuses années. En l’occurrence, l’absence même de date d’entrée en vigueur de cette circulaire de missions peut interpeller ; le site de référence Légifrance formule ainsi les réserves suivantes pour ce cas de figure : "Ce mode d’entrée en vigueur n’est pas opportun pour des mesures ayant une forte incidence sur de nombreux usagers qui n’auront pas eu le temps de s’y préparer ; seule l’entrée en vigueur différée ou l’insertion de dispositions transitoires est, en de telles hypothèses, de nature à permettre une application de la nouvelle réglementation dans des conditions satisfaisantes, voire de nature à assurer le respect du principe de sécurité juridique. [4]"

Cette précipitation trouve sans doute sa source dans le contexte politique particulier de l’élection présidentielle prochaine ; un certain nombre de textes sont ainsi parus ces derniers mois, selon un calendrier resserré qui ne correspond en rien aux échéances habituelles dans ce domaine. Vraisemblablement, l’articulation entre certains de ces textes est ici également en cause : la réforme en cours de l’évaluation des enseignants (PPCR [5]) nécessite, ainsi, que la circulaire de missions des professeurs documentalistes soit fixée, afin de servir de base à la conception de la grille d’évaluation applicable à ces derniers…

Une précipitation qui peut également se lire dans ces nombreuses coquilles persistantes [6], repérables au détour des lignes, et dont on aurait pourtant pu attendre du législateur qu’il s’en abstienne, au regard de l’importance de ce texte et de l’attente dont il faisait l’objet. Leur concentration dans l’axe 2 permet sans doute, au delà, d’émettre l’hypothèse qu’elles puissent être les marqueurs involontaires de ce qui constitue encore le cœur des divergences entre les différents acteurs professionnels engagés dans cette réécriture.

Une complémentarité explicite entre les textes constituant le nouveau cadre règlementaire de la profession.

La circulaire de missions entre en vigueur à la suite de plusieurs textes parus successivement depuis 2013, et dont les dispositions doivent être comprises en complémentarité. L’articulation étroite de ces derniers amène quelques observations générales, importantes en ce qu’elles orientent nettement la lecture des dispositions formulées dans la publication du 30 mars 2017.

La terminologie de cette nouvelle circulaire prend ainsi étroitement appui sur les choix opérés dans le référentiel professionnel de 2013 en la matière. Cette continuité de langage, également retenue dans le processus de refonte des textes définissant notre statut, a pour premier effet de rendre explicite la cohérence d’ensemble des textes qui constituent le nouveau cadre réglementaire de la profession : l’arrêté du 1er juillet 2013 définissant le « Référentiel des compétences professionnelles des métiers du professorat et de l’éducation » [7], le décret n° 2014-940 du 20 août 2014 relatif aux « Obligations de service et aux missions des personnels enseignants exerçant dans un établissement public d’enseignement du second degré » [8] et sa circulaire d’application n° 2015-057 du 29 avril 2015 portant sur les « Missions et obligations réglementaires de service des enseignants des établissements publics d’enseignement du second degré » [9], et à présent, la circulaire de missions du 30 mars 2017.

Sur le principe, cette cohérence est une bonne chose : elle permet de consolider les dispositions mutuelles desdits textes en induisant leur lecture en complémentarité, sans qu’on puisse nier les relations qu’ils entretiennent. Les questions, très concrètes, de notre temps de service, et de ce qui relève ou non de nos missions, semblent pouvoir aujourd’hui bénéficier d’un corpus de références réglementaires auquel chacun pourra se référer.

Cependant, cette méthodologie a corrélativement pour conséquence de fixer certaines expressions dont nous avions eu l’occasion de pointer le caractère ambigu dès 2013. Le terme de maître d’œuvre est ainsi entériné pour définir deux des trois axes de mission du professeur documentaliste. Il en va de même du verbe contribuer, dont on retrouve six occurrences au fil du texte. Le périmètre indéfini de ces termes maintient ainsi, au sujet des tâches et missions auxquelles ils s’appliquent, une certaine marge interprétative que la profession aurait certainement préféré éviter.

Une diversité des missions préservée, dont la faisabilité impose de prendre en compte la question des moyens.

Les trois axes de mission retenus permettent, et c’est heureux, de préserver et de consolider la richesse d’un métier auquel l’identité enseignante des personnels qui l’exercent donne sens et valeur. Outre la mission d’enseignement, la mission culturelle du professeur documentaliste fait ainsi l’objet d’un axe à part entière et propose un cadre d’action qui s’appuie sur une acception ouverte et non limitative de la culture. Les tâches relatives à la gestion du centre de documentation et d’information et de son fonds documentaire, essentielles, ne sont pas oubliées. En cela, la présente circulaire pérennise les acquis du texte de 1986 en y apportant une actualisation bienvenue.

Les dispositions de la nouvelle circulaire présentent cependant toujours, dans le détail, une énumération de tâches très importante. Or, cette énumération ne s’accompagne à ce jour d’aucun élément relatif aux moyens attribués à leur mise en œuvre, et le degré d’implication attendu des professeurs documentalistes manque significativement de clarté : nous contribuons, nous prenons en compte, nous favorisons

La faisabilité de l’ensemble des missions définies est sans conteste conditionnée à la nécessaire politique de recrutement qu’elle exige, incluant des professeurs documentalistes titulaires en nombre suffisant, mais également des personnels complémentaires qualifiés, bénéficiant d’un statut pérenne. Les enjeux portés par le nouveau cadre réglementaire définissant la profession ne peut faire l’économie de la question des moyens.

La mission d’enseignement, entre consolidation et subordination.

La nouvelle circulaire de missions entérine de réelles avancées en matière de consolidation de la mission d’enseignement du professeur documentaliste. Ces dernières ont été trop longtemps attendues pour que l’A.P.D.E.N., depuis toujours engagée en ce sens, ne salue pas aujourd’hui avec satisfaction leur inscription officielle dans ce texte.

Le professeur documentaliste - dont le métier a aujourd’hui un nom officiellement institué - est ainsi formellement défini comme enseignant dans l’intitulé de l’axe 1. La référence au référentiel de 2013 propose désormais un appui solide - pour peu qu’on en retienne la lecture intégrale, seule légitime par ailleurs - à la définition de notre professionnalité. L’expertise reconnue des professeurs documentalistes dans le champs des sciences de l’information et de la communication (SIC) consolide la définition de notre champs universitaire de référence, en cohérence avec la réforme du CAPES de documentation, également mentionné. Le texte précise ensuite que le « professeur documentaliste peut intervenir seul auprès des élèves dans des formations, des activités pédagogiques et d’enseignement, mais également de médiation documentaire, ainsi que dans le cadre de co-enseignements, notamment pour que les apprentissages prennent en compte l’éducation aux médias et à l’information ». Enfin, le décompte des heures d’enseignement apparaît explicitement.

La définition de nos contenus d’enseignement bénéficie également de précieuses avancées : le préambule précise ainsi que les professeurs documentalistes « forment tous les élèves à l’information documentation et contribuent à leur formation en matière d’EMI ». Par cette formule, l’institution reconnaît pour la première fois officiellement l’existence de l’Information-Documentation. Domaine d’enseignement relevant de l’expertise du professeur documentaliste, il lui permet de faire acquérir à tous les élèves « une culture de l’information et des médias ». Il se distingue par ailleurs sans ambiguïté de l’EMI, et ce n’est pas anodin : la matière d’enseignement spécifique est ainsi séparée de l’éducation à, de nature transversale. Cet « enseignement s’inscrit [enfin] dans une progression des apprentissages de la classe de sixième à la classe de terminale », et concerne « tous les élèves », conformément aux ambitions pédagogiques portées par la Fédération pour l’ensemble des élèves du secondaire français.

Toutefois, d’autres éléments portant sur la mise en œuvre concrète de la mission d’enseignement du professeur documentaliste, associés à ces inscriptions positives, viennent en fragiliser la portée, de manière potentiellement significative.

Tout d’abord, une formulation présente dans le liminaire introductif peut poser question par son ambiguïté : « conformément à l’arrêté du 1er juillet 2013 relatif au Référentiel des compétences professionnelles », il est rappelé que [les professeurs documentalistes] « partagent les missions communes à tous les professeurs et personnels d’éducation. Ils ont également des missions spécifiques ». Or, le Référentiel articule, par emboîtements inclusifs successifs, « Compétences communes à tous les professeurs et personnels d’éducation », « Compétences communes à tous les professeurs » et enfin « Compétences spécifiques aux professeurs documentalistes ». La formulation ici retenue nous semble de nature à favoriser la persistance d’une lecture tronquée du Référentiel pour ce qui concerne les professeurs documentalistes, auxquels on pourrait comprendre que les « compétences communes à tous les professeurs » ne s’appliquent pas. Dans la mesure où il y a là un enjeu de nature à garantir le caractère tangible et effectif de la reconnaissance de notre mission d’enseignement, il sera dans ce cas nécessaire de se référer directement aux dispositions complètes du Référentiel.

La question de ce qui relève ou non d’une heure d’enseignement n’a toujours pas été clarifiée, la présente circulaire reprenant mot à mot l’expression sibylline retenue dans les textes relatifs au statut. Les interprétations discutables auxquelles la profession s’est heurtée depuis 2015 pourront malheureusement trouver ici matière à persister, contre toute légitimité. Ce type de lecture pourra également trouver un point d’appui sur le choix du verbe, regrettable selon nous, dans la phrase : « le professeur documentaliste peut exercer des heures d’enseignement ». Il a pour conséquence d’affecter un caractère facultatif à l’activité d’enseignement, ce qui représente à la fois une incohérence au regard du statut et de la mission préalablement définis, et une faille que certains représentants de l’institution pourraient choisir d’exploiter.

Dans cette lignée, nous formulons ensuite des inquiétudes réelles sur les implications que pourront avoir, sur le terrain, les mentions répétées de l’autorité du chef d’établissement. Couplées au caractère prioritaire attribué dans l’axe 1 au bon fonctionnement du CDI, elles nous semblent de nature à engager des dérives prévisibles dans les établissements, sans que ne soit jamais défini ce que recouvre le bon fonctionnement. La formulation ici adoptée parait toutefois en exclure l’activité d’enseignement du professeur documentaliste ; cette acception suggérée nous semble relever d’un non-sens inadmissible. Devant ce vide définitoire, nous proposons aux professeurs documentalistes de refuser ici toute interprétation réduite à la gestion des flux d’élèves, et à la notion d’ouverture du lieu. Le bon fonctionnement du CDI doit en revanche inclure, de manière équilibrée, les activités pédagogiques et d’enseignement du professeur documentaliste, l’accueil des élèves en autonomie, et les tâches de gestion documentaire. Les problématiques d’accueil des élèves en permanence relèvent des attributions de la Vie Scolaire, dont l’A.P.D.E.N. soutient les revendications en matière de recrutements suffisants pour remplir leurs missions.

Enfin, la question de la politique documentaire appelle, dans le prolongement de ces considérations, un développement particulier.

La politique documentaire, un concept contesté pourtant officiellement institué.

Malgré une absence de consensus sur la notion de politique documentaire, l’A.P.D.E.N. prend acte de sa persistance dans la version définitive de la circulaire du 30 mars 2017 ; elle se voit ainsi inscrite pour la première fois officiellement dans les missions des professeurs documentalistes, quand elle n’était jusqu’alors qu’un concept porté par des publications institutionnelles sans caractère contraignant. Les fortes objections de la profession à son endroit, et l’échec de son implantation effective dans les établissements plus de 13 ans après son introduction dans le contexte scolaire par l’inspection générale, n’ont pas été pris en considération.

L’A.P.D.E.N., au-delà de son opposition claire à l’inscription de la politique documentaire dans la circulaire de missions, a milité pour qu’elle n’intègre en aucun cas la formation des élèves à la culture de l’information, si son maintien devait être acté. Il s’agissait là, pour nous, de refuser que l’exercice de notre mission enseignante se voie subordonné à la validation du CA, et de garantir la liberté pédagogique des professeurs documentalistes. Cette revendication n’a pas non plus été entendue.

Compte-tenu de cet arbitrage institutionnel, nous proposons ici le positionnement professionnel suivant.

Afin de contrer la subordination de notre liberté pédagogique à la validation du conseil d’administration, nous proposons d’exploiter de façon stratégique les choix terminologiques et la marge interprétative que les imperfections syntaxiques de ce texte nous permettent. Ainsi, deux éléments de l’axe 2 nous autorisent à réduire l’intégration de la formation des élèves dans la politique documentaire à ses seules "modalités" (nombre d’heures, heures dédiées et dispositifs interdisciplinaires, intégration de ces heures dans les emplois du temps des élèves,...), et d’en exclure totalement les contenus et les démarches d’enseignement, sans déroger au texte  :

  • « [La politique documentaire] a pour objectif principal la réflexion et la mise en œuvre de la formation des élèves à la culture informationnelle ». La formulation souffrant d’une erreur syntaxique, nous suggérons de la corriger comme suit, afin de la rendre intelligible  : « [La politique documentaire] a pour objectif principal la réflexion sur la mise en œuvre de la formation des élèves à la culture informationnelle. »
  • « [La politique documentaire] comprend la définition des modalités de la formation des élèves [...] »

Nous relevons d’autre part que le projet d’établissement, soumis à la validation du conseil d’administration, a vocation à présenter les modalités de mise en œuvre des enseignements, et non leurs contenus ou les choix pédagogiques opérés par les enseignants dans le but de les transmettre aux élèves. La politique documentaire, intégrée au volet pédagogique du projet d’établissement, se verra donc affecter la même logique. En cohérence, la « progression des apprentissages » relève quant à elle explicitement de l’axe 1 et n’a donc pas légitimité à être intégrée à la politique documentaire.

Conclusion

Alors qu’elle aurait dû lever définitivement les incertitudes auxquelles se heurtent les professeurs documentalistes dans l’exercice quotidien de leur mission - et ce, de façon particulièrement sensible depuis 2015 - et réduire au maximum la marge interprétative, la nouvelle circulaire de missions laisse persister un manque de précision regrettable sur des points pourtant stratégiques. L’impression d’une rédaction de compromis plutôt que de consensus est sensible, comme si le rédacteur avait souhaité ménager toutes les parties, sans prendre position de façon ferme.

Cependant, ces réserves ne doivent pas occulter des avancées majeures pour la profession, fruits de la mobilisation sans faille des militants associatifs et syndicaux depuis la création du CAPES en 1989. Cette publication reste en elle-même une victoire, et il revient à présent à chacun de nous, avec l’appui des collectifs représentant la profession, de nous appuyer fermement sur ces acquis pour faire valoir nos droits et notre vision du métier, au service de tous les élèves.

Notes

[2AP.D.E.N. « Refonte de la circulaire de mission : projet 3 - Lecture comparative et analyse ». Disponible sur http://www.apden.org/Refonte-de-la-circulaire-de-410.html

[3Cette ultime réunion s’est tenue le 26 janvier 2017 au Ministère, en présence des représentants syndicaux

[6- Axe 2, paragraphe 2 : « […] il élabore une politique documentaire validée par le conseil d’administration, et à sa mise en œuvre dans l’établissement. »
- « Elle a pour objectif principal la réflexion et [sur ?] la mise en œuvre de la formation des élèves à la culture informationnelle, l’accès de tous les élèves aux informations et aux ressources nécessaires à leur formation. »
- Axe 2, paragraphe 3 : « le choix des leurs modalités d’accès au CDI »

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