2016
mars
23

Lettre ouverte à Mme Vallaud-Belkacem

sur la situation des professeurs documentalistes

Le 23 mars 2016, une lettre ouverte concernant la situation des professeurs documentalistes a été adressée à Madame Najat Vallaud-Belkacem, Ministre de l’Éducation nationale. Ce texte a été co-signé par l’A.P.D.E.N. (association des professeurs documentalistes de l’Éducation nationale), l’ANDEP (association nationale des professeurs documentalistes de l’enseignement privé), le CEDIS
(centre d’étude de la documentation et de l’information scolaires, responsable de la revue professionnelle InterCDI), les formateurs en Documentation des ESPÉ et Le collectif "Où est le prof-doc ?".

Madame la Ministre,

Nous avons été très sensibles au fait que vous ayez rappelé, dans vos interventions publiques, la relation pédagogique qui lie les professeurs documentalistes aux élèves. Lors du discours de la « Grande mobilisation de l’École pour les valeurs de la République », le 22 janvier 2015, vous évoquiez le rôle qui leur est dévolu dans le développement des médias au sein des collèges et lycées. Plus récemment, lors de la journée d’étude du 9 février 2016, vous avez salué le travail effectué par les professeurs documentalistes dans les établissements scolaires. Nous vous remercions de cette attention. Vous avez à cette occasion rappelé le contenu du référentiel de compétences professionnelles publié en juillet 2013, en positionnant ces professionnels comme les « véritables maîtres d’œuvre de l’acquisition par tous les élèves d’une culture de l’information et des médias ».

Nous apprécions que vous ayez clarifié ce qui ressort de la mission pédagogique des professeurs documentalistes, que nous souhaiterions aussi bien connue de tous les acteurs de l’éducation : « Grâce à eux, les élèves accèdent à une compréhension des médias, des réseaux et des phénomènes informationnels dans toutes leurs dimensions : économique, sociétale, technique, et éthique. Ils donnent aux élèves les connaissances nécessaires pour maîtriser l’information, et avoir, devant les écrans, une dis-tance critique et une autonomie réelle. »

Cependant, si nous saluons ce discours, nous ne sommes pas moins conscients et inquiets des limites auxquelles il pourrait se heurter au regard des difficultés réelles et croissantes rencontrées par nombre de collègues concernant l’application des textes officiels.

Dans la mise en œuvre de la réforme du collège, mais aussi dans le travail poursuivi en lycée, les obstacles sont en effet nombreux. En l’état actuel des textes, rien ne permet de légitimer de droit les apprentissages assurés par les professeurs documentalistes auprès des élèves : ni les programmes, ni la mise en place d’heures d’enseignement. Dans ce contexte, beaucoup ne parviennent pas à trouver le moyen d’exercer leur mission enseignante, mission qui répond pourtant aux enjeux que vous citez, d’une importance reconnue pour la réussite des élèves. Quand un autre enseignant n’a pas à défendre la légitimité de son travail pédagogique, les professeurs documentalistes sont astreints à cette incessante remise en question de leur rôle, ce qui, dans le cadre professionnel, est source de difficultés, de découragements mais aussi de souffrances. Les chefs d’établissement et les collègues enseignants n’ont pas toujours connaissance, dans leur formation, de leurs compétences.

La hiérarchie elle-même - attachée à l’Inspection Établissement Vie Scolaire - dans de nombreux cas, bien souvent sans avoir pratiqué ce métier, a du mal à comprendre et soutenir cette mission pédagogique. La tendance est toujours à réduire notre travail à la gestion et à l’accueil des élèves dans le CDI, sans égard pour nos compétences et nos savoirs issus des Sciences de l’information et de la communication, alors qu’il est essentiel de développer les compétences informationnelles et médiatiques de tous les élèves.

Depuis plusieurs années, des mesures claires, dont le but est d’améliorer la situation et de permettre de répondre, enfin, de manière pérenne, à ces enjeux, sont proposées. Nous regrettons que le temps de cette réforme n’ait pas été l’occasion d’avancer au-delà d’une inscription de l’éducation aux médias et à l’information dans les programmes du cycle 4. Convaincus par le sens de votre propos, nous souhaitons que vous prêtiez une attention toute particulière à ces éléments, au risque de voir le discours que vous avez prononcé le 9 février dernier, perdre toute sa valeur.

Ainsi nous demandons :

  • des moyens horaires qui permettent aux professeurs documentalistes de mettre en œuvre leur enseignement, au lycée comme au collège, seuls et en collaboration, notamment par le biais de dispositifs transversaux, comme les EPI (avec la possibilité d’un binôme professeur documentaliste / professeur d’une autre discipline), l’AP (avec la discipline de Documentation comme support possible), les TPE, les PPCP ;
  • le respect du travail d’enseignement des professeurs documentalistes en actant la valeur d’une heure d’enseignement pour deux heures de service, applicable à toutes leurs heures d’enseignement, alors que la situation actuelle, à partir du décret 2014-940 du 20 août 2014 et de la circulaire 2015- 057 du 29 avril 2015 sur les missions et obligations réglementaires de service des enseignants, mène à des interprétations variées qui créent des situations différentes et inégalitaires d’une académie à l’autre, voire d’un établissement à l’autre ;
  • la création d’un corps d’inspection spécifique à l’information-documentation, dont les membres seraient issus de leur corps professionnel ;
  • le développement d’une politique de recrutement à partir du nombre d’élèves, avec un professeur documentaliste pour 400 élèves, sans poste partagé sur différents établissements eu égard à la multiplicité des axes de mission ;
  • des formations qui proposent à tous les étudiants la connaissance des différents métiers en fonction dans l’établissement, dans le cursus de formation initiale des enseignants et des personnels de direction afin que chaque corps connaisse le travail et l’approche pédagogique des uns et des autres, pour développer une conception professionnelle juste et réaliste de ce métier ;
  • une augmentation significative de l’offre de formation continue, comme vous le souhaitez vous-même, avec des formations thématiques et des réunions de bassin contribuant à une formation entre pairs essentielle dans ce métier.

Nous regrettons que le métier, dans ce contexte de réforme, n’ait pas profité d’une réflexion institutionnelle qui aurait pu être menée dans le cadre d’un groupe de travail paritaire en documentation, comme il en existe dans toutes les autres disciplines, ce qui aurait pu permettre de prendre en compte et de favoriser une évolution cohérente de la profession autour de valeurs partagées. Cette évolution passe par une actualisation de la circulaire de mission, avec des instructions officielles clarifiées qui, tout en respectant la diversité des établissements et les différents axes de mission des professeurs documenta-listes, permettent d’assurer des apprentissages info-documentaires auprès de l’ensemble des élèves, durant leur cursus.

Espérant retenir votre attention, pour les élèves, pour les apprentissages info-documentaires, pour la profession de professeur documentaliste, nous restons à disposition pour tout échange complémentaire.

Nous vous prions d’agréer, Madame la Ministre, l’expression de notre considération distinguée.

L’A.P.D.E.N., association des professeurs documentalistes de l’Éducation nationale.
L’ANDEP, association nationale des professeurs documentalistes de l’enseignement privé.
Le CEDIS, centre d’étude de la documentation et de l’information scolaires, responsable de la revue professionnelle InterCDI.
Les formateurs en Documentation des ESPÉ
Le collectif Où est le prof-doc ?

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