Les professeurs documentalistes et leurs conditions de travail.
Enquête A.P.D.E.N. 2016/2017 : synthèse des résultats
L’A.P.D.E.N. a consulté la profession dans le contexte particulier de la réforme du collège et de la refonte de la circulaire de mission, afin de faire le point, quel que soit le type d’établissement, sur les conditions d’exercice, notamment au sujet de la mission enseignante et de sa pratique concrète dans les établissements scolaires. Après avoir examiné la question des apprentissages info-documentaires, celle des axes de mission liés à la gestion, à la promotion de la lecture et à l’ouverture culturelle, et celle des questions statutaires, cette nouvelle enquête nous permet d’affiner nos observations, et de présenter à nos interlocuteurs un tableau fidèle de la profession en cette année scolaire charnière.
L’article proposé ici en reprend la conclusion, qu’il fait suivre d’un accès à l’intégralité des résultats et de leur analyse, sous deux formats au choix : mini-site, ou document PDF.
Conclusion
Cette enquête menée en octobre et novembre 2016, dont les résultats sont publiés au début de l’année 2017, vient clore une série de cinq enquêtes menées par l’A.P.D.E.N. auprès des professeurs documentalistes dans un contexte important de réforme. Ces enquêtes permettent d’affiner les observations sur la profession et sur ses missions, mais aussi de cerner les évolutions sur le temps long, avec des indicateurs qui peuvent se lire en connaissance de ce qu’était la profession il y a vingt ou trente ans. Sur le temps court, nous avons collecté, sur des panels nombreux, significatifs, des données qui permettent d’observer certaines évolutions, notamment pour ce qui concerne le volume horaire de l’enseignement des professeurs documentalistes ou pour ce qui concerne leur implication dans les instances des établissements et dans les dispositifs interdisciplinaires par exemple.
Titulaires d’un CAPES, certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement du second degré, en Documentation, domaine associé pour les savoirs académiques aux Sciences de l’information et de la communication (SIC), les professeurs documentalistes enseignent seuls et avec leurs collègues enseignants d’autres disciplines. Souvent seuls en poste, en particulier en collège, ils sont particulièrement impliqués dans les instances des établissements, que ce soit le conseil pédagogique et le conseil d’administration pour ne retenir qu’eux, afin de mettre en avant leurs axes de mission, afin de trouver les moyens de travailler avec les autres membres de la communauté éducative. Pour développer leur mission pédagogique, avec des groupes-classes, ils adhèrent souvent, en proportion importante, aux dispositifs nouveaux qui engagent des projets interdisciplinaires (TPE en lycée, histoire des arts en collège auparavant, EPI désormais en collège).
Mais ils ont à faire face à des obstacles nombreux, que la réforme n’est pas venue résoudre, au contraire. S’il faut ainsi des preuves que les professeurs documentalistes sont plus que jamais en difficulté pour exercer leur métier, nous les avons là, dans cette enquête, en espérant que la consultation de près de 15 % de la profession, sur une base très large de 13 000 professeurs documentalistes, tous statuts confondus, ne restera pas sans réponse.
**Un enseignement plus difficile à mettre en œuvre
On peut observer quelques évolutions positives, quand bien même elles sont légères, avec, sur quatre ans, une difficulté moindre à fermer le CDI lors d’une séance avec élèves, une meilleure reconnaissance sur la gestion des flux au CDI, même si la difficulté sur ces deux points est encore déclarée par un collègue sur dix. C’est là une continuation de la méconnaissance du métier, qui transparaît sur des observations faites ensuite.
Clairement, indiscutablement, les professeurs documentalistes ont plus de difficultés à développer leur enseignement, à mettre en œuvre les apprentissages auprès des élèves, et donc à permettre le développement de leur culture de l’information et des médias.
Le nombre de professeurs documentalistes qui ne proposent aucune séance pédagogique est en augmentation, et notamment de manière très nette au collège (passant en un an de 4 à 13 %), avec par ailleurs des collègues qui effectuent davantage d’heures quand ils en proposent, d’où une moyenne en stagnation ailleurs qu’en collège. Alors que la moyenne hebdomadaire était de 7 heures environ dans les enquêtes menées précédemment, elle se réduit à 5,7 heures puis 4,9 heures sur les deux dernières années scolaires, avec une baisse nette en collège sur les deux années de 6,5 à 5,8 heures, soit une diminution de 15 et 30 %. Pour l’écrire autrement, moins d’élèves profitent de séances pédagogiques avec le professeur documentaliste. Précisons là que, s’il existe une marge faible de professeurs documentalistes qui ne proposent pas de séances pédagogiques volontairement, l’augmentation du nombre de professionnels qui ne proposent pas de séances n’est pas liée à une volonté de ne pas faire, mais bien à la rencontre d’obstacles pour mener à bien leur mission d’enseignement.
Si, par ailleurs, un nombre conséquent de professeurs documentalistes disposent d’heures désignées dans leur domaine d’enseignement, le pourcentage baisse de 10 points en collège, que ce soit en IRD (initiation à la recherche documentaire), information-documentation ou EMI (éducation aux médias et à l’information). L’accompagnement personnalisé (AP) et les enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI), en collège, sont investis, mais avec des contraintes telles que l’on se situe bien en-deçà de ce que ces enseignants peuvent souhaiter faire, sans légitimité à prendre en charge clairement l’AP, sans possibilité pleine et entière d’être responsables pour les EPI. En lycée, les TPE sont toujours une voie importante pour assurer des apprentissages info-documentaires.
Dans ce contexte, la réaffirmation d’un seuil maximal hebdomadaire dans les grilles horaires et l’absence d’horaires dédiés et formalisés dans un programme d’enseignement apparaît comme un obstacle parfois insurmontable en collège. Elle remet en question la souplesse nécessaire au professeur documentaliste pour développer son enseignement dans le respect de l’équilibre de ses axes de mission et dans la capacité de mettre en place des projets ponctuels avec ses collègues. Elle remet en question sa capacité à intervenir devant des groupes-classes, et peut aller jusqu’à supprimer sa légitimité d’enseignant auprès de ses collègues et auprès de sa hiérarchie localement.
Si le décompte d’une heure d’enseignement pour deux heures de service est une réalité pour 20 à 25 % de professeurs documentalistes, sur des séances dans lesquelles ils développent clairement des contenus d’information-documentation ou d’EMI, c’est tout de même loin d’être une évidence, et l’on voit finalement que le problème est ailleurs, dans la capacité à enseigner.
**Le tableau d’un gâchis historique pour les élèves
Si, pour de nombreux professeurs documentalistes, les relations qu’ils entretiennent avec le service de Vie scolaire, avec le ou les chefs d’établissement, avec le service d’intendance ne se sont pas dégradées, il faut noter que ces relations évoluent aussi rarement de manière positive, ce qui a son importance au vu d’une situation déjà compliquée pour ces professionnels. Ainsi, avec le chef d’établissement, la légitimité de la mission d’enseignement du professeur documentaliste n’est pas évidente, au-delà de son travail de gestion, parfois exacerbé dans la gestion des manuels scolaires par exemple, de même pour le service d’intendance. Si le référentiel de compétences professionnelles, en attendant une nouvelle circulaire de mission, est positif à ce sujet depuis juillet 2013, il apparaît que le relais du texte par les hiérarchies directes des professeurs documentalistes, n’est pas toujours effectué, que ce soit dans les formations dispensées aux chefs d’établissement ou dans le travail des inspecteurs académiques Établissement Vie scolaire (IPR-EVS). Le premier point est un défaut ancien, le deuxième point est visible à la lecture des lettres de rentrée, année après année et notamment à la rentrée 2016.
Mais il est deux catégories avec lesquelles les rapports ont davantage tendance à se déliter. Avec les élèves, d’une part, on retrouve le problème de légitimité, sans toujours de considération pour l’enseignant qu’est le professeur documentaliste, avec une augmentation du sentiment, pour ce dernier, de se retrouver prestataire de service, notamment pour l’ouverture du CDI et l’accès libre aux ordinateurs et au Web. En collège, où ce ressenti est le plus important, on cite aussi comme raison l’incapacité réglementaire de dépasser le cadre horaire global de 26 heures pour l’intervention du professeur documentaliste seul, avec alors une résistance des élèves eux-mêmes à des heures complémentaires proposées en dehors des enseignements dits obligatoires. D’autre part, on constate une crispation des rapports avec les enseignants d’autres disciplines, là encore surtout en collège, précisément du fait d’une réforme qui les accapare, de par l’adaptation longue aux nouveaux programmes, par une possible réticence aux nouveaux dispositifs, pourtant essentiels à la mission pédagogique des professeurs documentalistes. Le principe de transversalité de l’éducation aux médias et à l’information, rapidement évoqué dans les seuls programmes d’EMI, porté dans les publications de la DNE et des DANE, peut aussi être un élément clivant, certains enseignants estimant légitime de prendre en charge ce nouvel enseignement, en lieu et place des professeurs documentalistes, sans pour autant avoir reçu de formation.
Toutefois il est des enseignants d’autres disciplines avec lesquels, au contraire, les relations s’améliorent, notamment du fait d’une inscription collective dans des projets pluridisciplinaires avec un respect des compétences professionnelles de chacun. C’est une des leçons de cette enquête, que l’on a pu relever dans la partie relative aux horaires, à savoir que des professeurs documentalistes déjà installés dans leur établissement, ou qui travaillent dans un établissement globalement favorable aux nouveaux dispositifs, peuvent trouver des conditions de travail qui changent peu ou qui changent de manière positive, avec une meilleure organisation de leurs interventions. Tandis que d’autres, malheureusement bien plus nombreux, voient leurs conditions de travail se dégrader, jusqu’à ne plus pouvoir proposer de séances, ou bien sans retrouver la même souplesse et capacité d’intervenir, quand ils peuvent aussi n’avoir jamais connu de conditions correctes d’exercice. L’exaspération apparaît dans de très nombreux commentaires libres, dans cette enquête, avec une forme d’abandon devant l’adversité.
L’absence de changements à l’issue de cinq années de réforme, voire le passage à des conditions plus difficiles, notamment en collège, expliquent un sentiment particulièrement pessimiste pour l’avenir de la profession, au-delà de chaque cas personnel, par les professeurs documentalistes. L’inégalité de traitement, avec les autres enseignants, n’apaise pas les crispations.
**Des choix institutionnels peu cohérents
Comment constater un tel échec politique sans essayer de comprendre les responsabilités d’un tel gâchis ? Alors que certains éléments, mais surtout un texte, le référentiel de compétences professionnelles, ont pu être source d’espoir, après 24 ans d’attente suite à la création du CAPES de Documentation, il faut sans doute chercher les raisons de la situation actuelle, en reprenant quelques conclusions de nos analyses, en éprouvant les différents échelons de responsabilité.
Au plus près des ministres qui se sont succédé depuis 2012, nous pouvons comprendre une méconnaissance de la profession et surtout de son évolution dans la pratique. Cependant un élan a été engagé avec le référentiel, avec le décret relatif aux obligations de service, même si, pour ce dernier, on peut déplorer une réelle absence de réflexion sur le statut et la mission des professeurs documentalistes, dont la responsabilité incombe à la direction générale des ressources humaines (DGRH).
En ce qui concerne les contenus et les savoirs, la faible implication de l’IGEN-EVS sur les contenus relatifs à l’information-documentation, ou à l’éducation aux médias et à l’information, ne manquera pas d’inquiéter la profession. La prise en charge quasi complète de ce dossier par la DNE, direction pour le numérique éducatif, n’est pas moins inquiétante, avec un effacement de l’information-documentation au profit d’une éducation aux médias et à l’information relevant essentiellement d’une stratégie du numérique assumée pleinement. A ce titre, on peut questionner l’absence de respect des responsables de la DNE vis-à-vis des contenus de l’EMI, inspirés essentiellement des réflexions relatives à l’information-documentation au sein du Conseil supérieur des programmes (CSP). La mainmise de la DNE sur les travaux des professeurs documentalistes, qu’elle redirige par la suite vers les autres disciplines, n’est pas une seule atteinte d’ordre éthique ; elle relève également de la confusion entre l’information-documentation et l’éducation aux médias et à l’information. Ce choix, qui se fait au détriment des professeurs documentalistes, mais aussi et surtout au détriment des élèves, contribue aux difficultés actuelles de la profession, et entraînera certainement l’absence de développement de l’EMI, et donc des apprentissages info-documentaires.
Le transfert de compétences du CLEMI, de l’éducation aux médias (EAM) vers l’éducation aux médias et à l’information, là encore sans respecter a priori les contenus de l’EMI, sans les moyens de développer une telle activité, avec un opérateur Canopé qui n’est pas clair dans ses objectifs, d’autant plus en intervenant en couche supplémentaire plutôt que complémentaire, apporte peu au développement d’une culture de l’information et des médias dans le cadre scolaire.
Au niveau académique, l’absence de cohérence nationale au sujet des contenus et des rôles, ainsi que la volonté de mainmise de la DANE sur l’EMI associée à la présence plus ou moins forte du CLEMI dans certaines régions selon les moyens déjà alloués, dessert la base, jusqu’aux élèves. C’est bien une évolution peu rationnelle de ces services, sans cohérence au sujet de la culture de l’information et des médias, sans respect de la fonction des professeurs documentalistes, qu’il s’agit de dénoncer ici. C’est une communication particulièrement mauvaise qu’il s’agit là de pointer du doigt, sans aucun élan donné à l’EMI, en pratique, sans volonté politique pour améliorer les conditions de travail des professeurs documentalistes en ce sens. On en arrive à observer que des responsables institutionnels souhaitent, à plusieurs niveaux, que les professeurs documentalistes, pour lesquels la formation continue est insuffisante, voire indigente, forment leurs collègues d’autres disciplines en quelques heures à développer des savoirs pour lesquels ces enseignants d’autres disciplines n’ont reçu aucune formation initiale...
**Quelques pistes pour ne pas perdre espoir...
Toutes ces observations faites, la question se pose de la pertinence de présenter des propositions politiques en faveur du développement, dans le cadre scolaire, d’une culture de l’information et des médias chez les élèves. On peut estimer que rien n’est irrémédiable et que des éléments réglementaires existent, pouvant permettre la réalité d’apprentissages info-documentaires, d’une éducation aux médias et à l’information assumée qui ne soit pas qu’un objet de communication et de concurrences.
L’A.P.D.E.N. développe de telles propositions depuis des années, toujours nécessaires :
- une formation continue par et pour les professeurs documentalistes en culture de l’information et des médias, comparable aux formations qui existent dans les autres disciplines ;
- une formation initiale en ESPE au travail en collaboration dans l’enseignement, notamment entre professeurs documentalistes et professeurs de disciplines ;
- une formation initiale et continue au rôle multiple des professeurs documentalistes, notamment pédagogique, dans la formation des chefs d’établissement ;
- la création d’une inspection spécifique, au niveaux national et académique, en culture de l’information et des médias, avec un concours d’agrégation ;
- une réflexion ministérielle sur la réalité du temps de travail des professeurs documentalistes, afin de trouver les moyens d’une reconnaissance raisonnable des heures d’enseignement dans la globalité de leur service ;
- le recrutement d’un nombre de professeurs documentalistes en proportion du nombre d’élèves, voire d’autres personnels pour l’accueil et la gestion. Les besoins sont alors dépendants de réalités académiques variées, supposant un cadrage national strict, alors, pour engager une évolution positive ;
- la révision de l’organisation des enseignements, en particulier au collège, afin que les professeurs documentalistes puissent effectuer leur mission pédagogique auprès des groupes-classes.
Par ailleurs, il est sans doute temps que le travail de réécriture de la circulaire de mission des professeurs documentalistes, engagé en juillet 2016, prenne en considération les observations de cette enquête, avec des alertes données par le passé, avec ici des éléments tangibles. Cette considération passe par un respect des textes réglementaires, en particulier le référentiel de compétences professionnelles, en estimant à leur juste mesure toutes les compétences qui concernent les professeurs documentalistes, à savoir les compétences communes aux professeurs et les compétences qui leur sont spécifiques, en complément et non en remplacement des compétences communes. Gageons que le temps politique ne vienne pas former une contrainte à une avancée en laquelle on peut encore croire, sur un sujet qui se dégage des tensions partisanes.
CONSULTER L’INTÉGRALITÉ DES RÉSULTATS DE L’ENQUÊTE
(Disponible également au format PDF en pièce jointe à cet article)