2011
avr.
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La pédagogie est-elle soluble dans les disciplines à enseigner ?

Article Publié dans le Mediadoc N°5 Déc.2010

Raoul Pantanella
Professeur honoraire de lettres
Membre de la rédaction des Cahiers pédagogiques

A ceux qui prétendent que la pédagogie est inutile pour qui possède les savoirs universitaires de haut niveau, requis dans les concours de recrutement, on veut montrer ici combien tout acte d’enseignement est
obligatoirement un acte pédagogique. Et que cette professionnalité n’est pas donnée avec les connaissances universitaires.

À partir de 2010 en effet, les nouveaux professeurs sont recrutés à un haut niveau disciplinaire : on va progressivement exiger d’eux qu’ils soient titulaires d’un master (bac + 5) alors que jusqu’ici une licence (bac + 3) suffisait pour se présenter aux concours. Mais parallèlement, l’affaiblissement de leur formation pédagogique initiale ne porte-t-elle
pas atteinte à la qualité même des savoirs théoriques qu’ils sont, par ailleurs, largement en mesure de transmettre ?… Le déficit pédagogique ici ne risque-t-il pas de conduire à une baisse de la qualité disciplinaire de l’enseignement ?…

Dans le fracas de la démolition de l’école publique, on n’entend plus la voix des ordinaires contempteurs de la pédagogie, les prétendus « républicains » qui faisaient de ceux qu’ils qualifiaient de « pédagogistes » l’origine et la cause de tous les maux de notre système éducatif… On se souvient encore cependant de leur accusation centrale et récurrente : la pédagogie porte atteinte à la pureté « naturelle » de l’acte d’enseigner et dénature par ses méthodes la qualité même des savoirs disciplinaires qu’il nous faut transmettre. Et à cause des « pédagogistes » qui auraient, selon eux, accaparé tous les pouvoirs dans l’école, le niveau des connaissances baisse, baisse, au point d’avoir déjà atteint celui de l’an prochain !…

En grattant un tout petit peu, derrière cette récusation de la pédagogie on retrouve vite l’idée angélique et mécaniciste selon laquelle celui qui sait, sait aussi enseigner ce qu’il sait par le simple fait qu’il le sait ! Cette conception naturaliste et de prétendu bon sens semble avoir justifié, à la rentrée 2010, la suppression de la formation pédagogique en IUFM des nouveaux professeurs en les plaçant au sortir des concours de recrutement, et sans préparation aucune, devant un tas d’élèves et un tas d’heures de cours à assurer…

Mais ce faisant, les antipédagogues et le ministère commettent deux erreurs rédhibitoires au regard de ce qu’est l’acte d’enseigner.

Le modèle transmissif, impositif et frontal

On sait depuis longtemps que le modèle d’enseignement impositif et frontal, – le cours magistral, qui a la faveur spontanée de l’immense majorité des professeurs –, ne relève pas d’une théorie de l’apprentissage mais bien de la théorie platonicienne de la connaissance. Dans cette conception des choses, les savoirs préexistent dans l’empyrée des Idées et dans toute leur pureté immarcescible, hors de l’atteinte du temps et de l’espace. La transmission de ces savoirs aux élèves, récipients encore vides, consiste alors à les dévoiler par la parole magistrale. Il suffirait au maître de parler devant un auditoire attentif et studieux, il lui suffirait de se livrer à quelques monstrations dites scientifiques, à quelques décorticages littéraires qui épuisent les textes, à quelques gestes que l’élève aura en charge d’imiter, bref, il lui suffirait de répondre par avance à des questions que les élèves ne se posent pas, pour que la classe tout entière les reçoive comme la Bonne Parole et les assimile.

Et bien entendu, dans ce modèle professionnel de référence, l’échec des apprentissages est imputable à la « nature » de l’élève : il n’est pas doué, il n’est pas « fait » pour les études, il n’a pas de curiosité intellectuelle, il n’aime pas les savoirs qu’on lui sert ainsi tout mâchés et rabâchés, ses parents ont démissionné, etc.

Or, ce modèle d’enseignement, naturalisé par la tradition séculaire et universitaire, ne fonctionne bien que si au moins quatre conditions simultanées sont réunies préalablement.

Il conviendrait d’abord que le maître s’assurât que les élèves auxquels il s’adresse partagent bien avec lui les mêmes codes de communication linguistique et sociale et donc des valeurs culturelles voisines. Comment s’entendre en effet si on ne parle pas les mêmes langages ?

L’autre difficulté, pour bien faire fonctionner le cours magistral, vient de ce que les savoirs scolaires exposés n’ont pas toujours de sens pour les élèves. Nés dans des univers lointains désormais étrangers, détachés des questions vives qui leur ont donné naissance, les savoirs ne sont plus immergés, comme jadis pour les enfants de la bourgeoisie, dans un bain culturel partagé. Les élèves n’ont souvent plus la possibilité d’anticipation cognitive et de mobilisation du déjà-là des apprentissages antérieurs nécessaires.

Et notamment ils n’ont pas forcément acquis préalablement les outils méthodologiques pour s’approprier au vol les informations qui viennent à lui sur la parole du maître : savoir écouter, se concentrer, observer, prendre des notes, faire un résumé, une synthèse, classer, référencer, etc.

Enfin, pour profiter de la pédagogie magistrale, il faut que l’élève sache pourquoi il est là, en classe. Il faut qu’il adhère à un projet personnel et que sa ,présence en ces lieux scolaires ait pour lui une signification qui l’incite à y demeurer en place…

On le voit, ces quatre conditions ne sont pas aisées à réunir et leur présence n’a rien de « naturel » ni de commun. C’est pourquoi, les pédagogues ont tenté depuis longtemps de différencier et diversifier la pédagogie.

Mais ceci est une autre histoire méthodologique que je n’aborderai pas ici.

Car je voudrais terminer en soulignant la seconde erreur des antipédagogues et de ceux qui les ont écoutés jusqu’à supprimer la formation professionnelle des maîtres…

Le long cheminement des savoirs

Les adversaires de la pédagogie ont donc réussi à convaincre les politiques que toute formation initiale et continue aux différents métiers de l’enseignement et de l’éducation était superflue puisque, comme nous l’avons vu, ils sont persuadés que les savoirs comportent en eux-mêmes les moyens didactiques de leur transmission. D’où les attaques haineuses contre les IUFM, l’allongement jusqu’aux masters de la formation universitaire initiale nécessaire pour se présenter aux concours de recrutement, etc.

Or, quel que soit l’acte d’enseignement que l’on considère, et à quelque niveau que ce soit, on peut découvrir immédiatement les gestes professionnels d’une grande complexité qui sont demandés au maître.

Partant des savoirs savants construits hors des écoles et dont les professeurs sont porteurs (ou dont ils savent où les trouver, on peut leur faire amplement confiance là-dessus), le maître doit être en mesure d’opérer toute une série de choix programmatiques et curriculaires pour déterminer, pour les élèves réels qu’il a devant lui, cette année, les savoirs à enseigner. Il ne saurait suivre servilement les manuels scolaires ou obéir à toutes les injonctions théoriques et souvent démentielles des instructions officielles. Il lui appartient de tenir compte de la réalité vivante de sa classe dont les élèves sont loin de ressembler aux sujets épistémiques des circulaires !

Ces choix une fois faits, seul ou en équipe interdisciplinaire, il lui faudra les transformer jour après jour en savoirs enseignés. Et là « l’effet-maître », la coloration que sa présence, sa personnalité donneront à l’enseignement sont déterminants et uniques pour les apprentissages des élèves.

Aucun maître ne ressemble à un autre, on le sait, et la formation est destinée à lui faire découvrir et à faire émerger en lui sa couleur, sa voie personnelle…

Enfin, et c’est sans doute là l’exercice professionnel le plus difficile à faire, le maître doit être en mesure d’accompagner, de faciliter, d’évaluer pas à pas la réalité et la pertinence des savoirs appris par les élèves. Car il y a loin de la coupe des savoirs aux lèvres des élèves qui les apprennent… Ce tour de main artisanal est essentiel à acquérir pour que le maître sache susciter la motivation et soutenir, dans toutes leurs phases complexes et fragiles, les apprentissages des élèves.

La pédagogie est donc essentielle pour que les connaissances parviennent jusqu’aux élèves. Réduire aujourd’hui la formation des maîtres à un tutorat problématique, à un compagnonnage sur le tas, n’est pas suffisant pour leur faire acquérir la professionnalité que la transmission des contenus disciplinaires exige.

Attendons le retour de la pédagogie et des pédagogues…

Raoul Pantanella

Professeur honoraire de lettres

Membre de la rédaction des Cahiers pédagogiques

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