2015
oct.
10

Le document de collecte : la place des écrits réflexifs dans la formation des élèves à l’évaluation de l’information

Table ronde. Noël Uguen

En vidéo sur : https://www.canal-u.tv/chaines/apden-ex-fadben/seconde-journee-10-octobre-2015/enseigner-apprendre-l-information

Table ronde animée par Ivana Ballarini

Les évolutions du web et des moteurs de recherche ont modifié en profondeur la création, la circulation et l’indexation des objets documentaires : les évolutions technologiques couplées aux pratiques de redocumentarisation et de partage des contenus ont donné naissance à un nouveau type de document instable et mouvant, en perpétuelle recomposition. Pour Bruno Latour, nous sommes passés de l’ère du document à celui des « paysages de données », où les contenus autrefois figés dans des formes stables comme le livre circulent désormais sous forme de fragments autonomes (Latour, 2011).

Selon Brigitte Simonnot, trois repères principaux du processus éditorial ont ainsi été remis en cause : « l’autorité personnelle de l’auteur, le travail de l’éditeur qui sélectionne, corrige et met en forme l’information, et une typologie des textes » [fictions, magazines, manuels...] qui ont leurs caractéristiques formelles et qui sont évalués avant publication selon des règles d’évaluation propres (Simonnot, 2007).

Désormais c’est au lecteur qu’il appartient de reconstituer l’ordre et la source des énoncés, de filtrer l’information et d’en établir la fiabilité (Serres, 2012). Il doit savoir clôturer sa recherche, contextualiser et mettre en relation les documents consultés en repérant les énoncés et les arguments correspondant à son besoin d’information (Rouet, 2012). Des études sur les pratiques informationnelles des usagers révèlent néanmoins que ces opérations intellectuelles ne sont pas maîtrisées par les jeunes, qui se forment de manière empirique [1] (Aillerie, 2010).

Ces nouvelles médiations induites par le web remettent également en cause la pertinence des formations méthodologiques à la recherche documentaire. Au lieu d’outils et de conseils « clés en main », il faut mettre en place des situations qui amèneront l’élève à questionner ses « manières de faire » et le propos de cet article est d’évaluer comment la méthode du « document de collecte » peut y contribuer en tant que mémoire du parcours de recherche et « carrefour d’échanges » entre l’élève et le professeur documentaliste lors des TPE.

Ce dispositif, sur lequel nous nous appuyons depuis 2012 dans un lycée breton, est basé sur un carnet de bord numérique qui permet de mettre en lumière les pratiques informationnelles de l’élève et qui l’aide à mettre en place une stratégie d’évaluation de l’information. Le bilan de cette expérience témoigne plus largement d’un besoin de formation englobant des savoirs d’action sur les spécificités du document numérique, ses modes d’indexation et de circulation sur la toile.

1. Le rôle de la collecte : entre manipulation et invention

1.1 Les constats opérés en TPE : prégnance des pratiques informelles

L’équipe des trois professeurs documentalistes a constaté dans les années 2000 que les élèves ne pouvaient commenter les sources des documents sélectionnés lors des oraux signant la fin des TPE, malgré tous les apports et les ressources méthodologiques fournis en début et en cours de la réalisation du travail. Dans les productions finales, la liste des références de documents en ligne se limitait à une compilation d’adresses web [2] et le processus d’argumentation des élèves échouait dès lors à convoquer les sources et les discours qui font autorité par rapport à leur objet d’étude.

Frédéric Rabat, formateur dans l’académie de Rouen, a bien décrit cette pratique informelle qui fait obstacle à la mise en place d’une véritable stratégie d’évaluation : « "mentionner sa source" est une consigne rencontrée fréquemment par les élèves. Quand il s’agit d’une page web, l’opération se limite le plus souvent à recopier l’adresse de la page. Lors de leur exploration les élèves ne quittent pas la page web consultée ; ils prennent rarement en considération l’environnement du texte, son contexte éditorial, pour construire une représentation de la source. » (Rabat, 2010)

Que faut-il déduire de ce constat ? Contemporains de ce passage de l’ère du livre clos au « paysage de données », les élèves qui accèdent à des pages via des moteurs de recherche, n’ont pas de représentation claire de la structure d’un site, de cette organisation complexe qui série la distribution des pages entre elles. Leur méconnaissance du support les empêche de construire l’identification de la source : par corollaire, les notions d’auteur, d’autorité et de source ne sont pas davantage appréhendées comme les critères essentiels pour évaluer l’information en ligne.

Dans le champ de ses pratiques numériques, l’élève n’éprouve pas le besoin qu’on lui dicte des bonnes pratiques à suivre et les formations strictement méthodologiques aux savoirs info-documentaires ratent leur cible, comme nous l’avons expérimenté (Cordier, 2012) [3]. Il nous a semblé plus pertinent de prendre appui sur les pratiques informelles de l’élève pour l’amener à analyser son activité et questionner ses « manières de faire ».

1.2 Instituer les « traces de collecte » comme un document de travail

Analysant les pratiques juvéniles de recherche d’information, Nicole Boubée a observé que les élèves constituent spontanément ce qu’elle nomme un « document de collecte », qui est une compilation d’extraits des documents consultés. Même s’il n’obéit pas à une stratégie de prise de notes élaborée, cet « écrit de travail » permet de réguler la recherche d’information et Nicole Boubée recommande aux enseignants de l’intégrer comme un « document organisateur » de l’activité (Boubée, 2008).

La didactique des lettres donne également un véritable statut épistémique à ce type d’« écrit intermédiaire » ou « écrit réflexif » qui accompagne les étapes d’une tâche complexe : ce document agit comme un lieu « où s’élabore le travail cognitif, où émerge la pensée, entre manipulation et invention » (Chabanne, 2002 ; Cellier, 2006).

2. Quels savoirs construire autour de l’évaluation de l’information ?

Selon la définition du Wikinotions Infodoc [4], évaluer c’est « conférer de la valeur à une information par le biais de critères de jugement » : il s’agit de déterminer la source de l’information et sa nature (journalistique, scientifique, promotionnelle, etc.) pour interroger sa fiabilité puis déterminer sa crédibilité et son expertise vis-à-vis du sujet traité.

Le guide d’accompagnement des professeurs documentalistes de l’enseignement agricole (Gardiès, 2008) mentionne lui trois niveaux de critères d’évaluation :

  • la fiabilité de l’information, qui passe par l’identification ou le repérage des sources et de l’auteur, la « fraîcheur » de l’information,
  • la validité de l’information (ou crédibilité), qui nécessite l’identification du point de vue de la source, de l’autorité ou compétence de l’auteur à traiter le domaine...
  • la pertinence de l’information, qui est fonction du besoin d’information.

2.1 Évaluer : collecter et interpréter des indices

Le tableau suivant constitue une tentative de transposition de ces critères d’évaluation pour clarifier les objectifs : d’une part, « référencer » les documents consultés, identifier les sources et en évaluer l’autorité ; d’autre part, expliciter la pertinence du document sélectionné par rapport au besoin d’information

Critères du tableau
Adresse web Nom de la Source Type de source, point de vue, fraîcheur de l’information L’auteur et son expertise du domaine Pertinence de l’information par rapport au besoin

Cet « écrit de travail » structure la prise de notes et suggère les indices à collecter mais son format de type tableau présente néanmoins des inconvénients car il oblige les élèves à de nombreuses opérations de copié/collé (adresse de la page, extraits, nom de la source...) et il n’est pas adapté à la rédaction d’énoncés.

2.2 Mener la collecte avec un système de « signets sociaux »

Au bout d’un an d’expérimentation, nous avons convenu en 2012 de choisir Scoop.it, une plate-forme de signets sociaux, pour simplifier la collecte des sources. Cette application en ligne, disponible gratuitement après création d’un compte commun à un groupe d’élèves de TPE, permet d’automatiser le référencement d’un document en ligne (adresse ou URL, titre, résumé...) et de mettre l’accent sur l’évaluation de l’information, que l’élève doit rédiger à partir des critères ciblés : l’identification de la source, de sa fiabilité, de sa crédibilité et de sa pertinence.

Une présentation des critères d’évaluation

La prescription d’un dispositif éloigné des pratiques informationnelles des élèves peut toutefois faire l’objet de résistances et c’est pour les prévenir que nous avons mis en place deux séances d’accompagnement personnalisé avant le début des TPE. Le corpus de sites que nous avons sélectionnés au préalable pour mener l’analyse comprend aussi bien des sites « amateurs » que des sources universitaires. A l’issue de cette formation, nous avons élaboré avec les élèves une carte mentale des types de sources répertoriées et ce document constitue une ressource qu’ils peuvent personnaliser en fonction de leur stratégie de recherche d’information.

Un accompagnement régulier au cours des TPE

Durant la réalisation des TPE, chaque groupe doit présenter au moins deux fois son carnet de bord de recherche aux professeurs documentalistes et notre évaluation de leur travail entre dans une fraction de cette partie de la note. Ce suivi permet de repérer globalement des obstacles récurrents, de diagnostiquer les causes de ces difficultés et de construire les apprentissages info-documentaires en situation.

3. Un déficit de culture informationnelle

Au bout de deux années d’expérimentation, nous avons recensé deux catégories de difficultés rencontrées par les élèves pour évaluer l’information :

  • l’utilisation de critères de surface comme le design, l’apparence d’un site pour établir la fiabilité d’une source et la qualité de l’information.
  • la méconnaissance des principes de publication et de circulation et d’indexation des documents sur le web, et notamment les images ou les vidéos.

Ce diagnostic a permis d’évaluer des besoins de formation et de construire un parcours de formation sous forme de situations d’apprentissage.

3.1 L’évaluation par le biais de critères de surface

Typologie des sources et crédibilité

Les élèves invalident parfois certaines catégories de source en s’appuyant sur des « conceptions erronées » de la valeur de l’information. Par exemple, un blog personnel ne pourrait par principe constituer une source fiable et un site officiel d’entreprise devrait être écarté puisqu’il est orienté vers la vente de biens ou services. Seuls les sites institutionnels seraient fiables et crédibles : or il existe pourtant des blogs d’experts (journalistes, hommes politiques..) et les sites d’entreprise sont tenus de respecter la loi de confiance sur l’économie numérique de 2004, gage de fiabilité.

Là encore, un dialogue avec le professeur documentaliste permet aux élèves de dépasser ces « représentations » sur la typologie des sources. Le document de collecte évoluera au fur et à mesure que les critères d’évaluation des élèves s’affineront.

De l’indice au réseau de citations : vers un usage expert de la notion d’index

Certains sites -et notamment des blogs de lycéens réalisés en TPE- ne comportent pas toujours de mention de source explicite mais ils constituent des objets d’étude intéressants puisqu’ils sont placés en tête de liste de résultats par les moteurs de recherche. Citons le cas de ce document consacré au chewing-gum et estampillé du logo « Hollywood », critère visuel isolé qui agit aux yeux des élèves comme la preuve d’une source officielle. En interrogeant sur nos conseils un moteur de recherche à partir d’extraits textuels, ils ont pu constater que ce document circule sur plusieurs sites « amateurs », mais qu’il est impossible de le localiser sur le site officiel de la marque...

A travers ce type de situation, les élèves apprennent à se défier des « critères de surface », comme un logo ou une image qui peuvent être facilement manipulés. Il faut à l’inverse pratiquer le « doute méthodique » et savoir comparer les documents qui reprennent à l’identique un même énoncé. Les moteurs de recherche permettent de filtrer les résultats pour détecter des réseaux de citation de textes ou de médias : pour qui sait les utiliser comme instruments d’enquête, ils aident à structurer le « paysage de données » du web à la manière des index qui permettent de circuler au sein d’un livre.

Le cas des forums

Les messages publiés sur les forums figurent parfois dans les pages de résultats des moteurs de recherche, surtout s’ils traitent de sujets de société comme la santé. Ces « micro-documents » constituent également un objet d’étude concernant la question du statut de l’auteur sur Internet. Prenons l’exemple du site Yahoo Questions-réponses qui effectue un classement des auteurs à partir d’une métrique fondée sur la participation et la popularité. A l’inverse, le « guichet du savoir » de la Bibliothèque de Lyon centralise les questions qui sont traitées par une équipe de bibliothécaires experts qui parfois n’hésitent pas à indiquer les limites de leurs compétences [5].

Des situations d’enquête peuvent être construites à partir de ces deux catégories de sources pour distinguer l’autorité « calculée » et fondée sur un algorithme de celle qui repose sur la confiance que l’on délègue à l’expert dont les compétences sont socialement reconnues.

3.2 Un déficit de savoirs sur les notions de document et d’indexation

Le cas des fichiers PDF

Les fichiers au format PDF constituent des documents à part, logés comme des annexes d’un site parce qu’ils sont avant tout destinés à produire une version imprimée d’une page. Comme les moteurs de recherche indexent intégralement leur contenu textuel, ils sont propulsés assez régulièrement dans la première page de résultats d’une requête.

Bien souvent, l’élève ne fait pas de relation entre ce document isolé et le site qui l’héberge : pour franchir l’obstacle, il doit savoir décoder l’URL ou adresse web pour remonter à la page d’accueil du site et identifier la source. Des situations d’apprentissage peuvent être élaborées pour faire comprendre aux élèves les spécificités de ce type de document numérique. Par ce biais, on cible également la compréhension des mécanismes d’indexation fine des « segments d’information » sur le web, tels que les a mis en exergue Bruno Bachimont (Bachimont, 2007).

Le cas des vidéos

La consultation de vidéos en ligne est une pratique plébiscitée par les jeunes pour se distraire et s’informer [6]. Pour illustrer la complexité des médiations éditoriales en jeu avec cet objet médiatique, prenons l’exemple du documentaire de Pierre-Olivier François sur l’avenir de la presse, diffusé initialement sur la chaîne de télévision et sur le site web d’Arte en 2014, puis mis en ligne sur la plate-forme YouTube par un internaute identifiable seulement par son pseudonyme. Dans ce type de situation, les élèves mentionnent souvent la plate-forme YouTube en guise de source. Dans un second temps, ils avancent le nom du titulaire du compte qui a publié ce document vidéo.

Pour lever l’obstacle, nous leur demandons de repérer tous les indices (logo d’une chaîne de télévision) et les mots-clés permettant de contextualiser la vidéo (titre, commentaires...). En filtrant la recherche sur le titre des pages web recherchées, on obtient une revue de presse portant sur la réception critique de ce film de Pierre-Olivier François. Les options avancées du moteur de recherche permettent aussi de reconstituer les différents contextes de publication de ce documentaire, depuis le site web d’une chaîne de télévision jusqu’à la plate-forme YouTube, en passant par les blogs et les sites de médias qui l’ont intégré parmi leurs contenus.

Ce type de situation permet aux élèves de démêler l’écheveau des acteurs et des responsabilités qui interviennent dans le processus de publication de contenus sur une plate-forme comme Youtube, sans oublier l’épineuse question des droits d’auteur.

Entre « manipulation et invention », cette stratégie instrumentée par les outils numériques englobe des « savoirs d’action » pour établir des listes et des recoupements via les index des moteurs de recherche, pour savoir remonter à l’origine d’une vidéo, d’une infographie et enregistrer ces résultats dans un document de collecte. Elle procède d’une stratégie essentielle pour apprendre à vérifier l’origine des rumeurs [7] (Mignot, 2007).

Le cas des images

La publication, le partage et la réutilisation des images sur la toile constituent également des marqueurs des pratiques numériques juvéniles [8] (Frau-Meigs, 2012). Les élèves collectent ce type de document le plus souvent via les moteurs de recherche qui affichent le résultat d’une requête sous la forme d’un tableau d’images séparées de leur contexte éditorial. Ce mode de présentation crée une « désintermédiation » qui court-circuite la relation classique entre le lecteur et le document-hôte : comme le souligne Emmanuelle Bernès, le moteur de recherche « étant devenu le principal point d’accès à la collection en ligne, il tend souvent à se confondre avec elle, il en devient l’unique interface, le seul artefact visible » (Bernès, 2007). Or seul l’examen du document-hôte permet l’évaluation de la qualité, de la fiabilité et de la pertinence de l’image : les élèves doivent découvrir que cet objet n’est pas indexé selon son contenu sémiologique mais à partir de critères textuels dont le centre d’aide de Google images donne une liste : il s’agit du nom du fichier numérique contenant l’image elle-même, des mots-clés et du texte environnant l’image dans la page web et enfin du contenu de la balise ALT, une métadonnée spécifique à la description de l’image en langage Html [9].

La connaissance des logiques d’indexation des moteurs devient essentielle pour dépasser les usages routiniers, pour savoir formuler des requêtes plus précises et in fine pour évaluer le contexte de publication des documents visuels (image, infographie, vidéo...). La collecte d’images propageant des rumeurs pourra servir d’exemple de situations d’apprentissage permettant aux élèves de découvrir ces savoirs d’action pour contextualiser et évaluer les documents visuels.

4. Vers un parcours de formation basé sur des situations de collecte

Dans cette formation à l’évaluation menée dans le cadre des TPE, le dispositif de collecte sert à la fois de mémoire du parcours de recherche d’information et de révélateur de pratiques informelles qui font obstacle à la démarche d’évaluation. Par le biais d’une situation d’enquête, les élèves découvrent les indices formels de la source dans une page d’accueil, mettent à jour les réseaux de citations d’un auteur dans une page de résultats, appréhendent le contexte originel d’une image. Le rôle du professeur documentaliste ne se limite plus à fournir des recettes méthodologiques ou à prescrire de bonnes pratiques, mais son action relève davantage d’un art du questionnement, d’une maïeutique par laquelle il accompagne la progression des élèves.

Il met aussi en place un parcours de formation car certains apprentissages info-documentaires doivent être mis en place bien en amont des TPE. Deux objectifs prioritaires pour la classe de seconde sont mis en œuvre depuis 2014, sous forme de situations de collecte d’information : la formation aux notions de document numérique et la formation à l’évaluation de l’image.

4.1 Former à l’évaluation de l’information à travers des situations

La démarche du document de collecte est mise en œuvre en accompagnement personnalisé à partir d’une sélection de sites web qui présentent des « obstacles » au plan cognitif. Ce peut être la liste des résultats d’une recherche ciblée dans un moteur de recherche. Les élèves doivent évaluer plusieurs types de documents qui posent des obstacles à travers la typologie ou le format (fichier PDF, document vidéo...).

Le document de collecte permet de faire des « arrêts sur image » pour mettre à jour les pratiques informelles des élèves, transformer les obstacles cognitifs en objets d’investigation. Il faut également prévoir des situations de « transfert » car, selon Muriel Frisch, « les savoir-faire liés à la recherche sont essentiellement des savoirs pratiques..[et] ils doivent être exercés régulièrement pour être mémorisés » (Frisch, 2007).

La formation à la recherche et à l’évaluation de l’image est menée également dans le même cadre en classe de seconde. Les élèves ont à constituer une collection d’images sur un sujet et ce corpus permet de questionner leurs pratiques de recherche et de référencement de manière réflexive.

4.2 Le rôle des outils numériques : le concept d’architexte

L’outil utilisé pour constituer le document de collecte est choisi en fonction des opérations d’indexation/annotation qui servent de socle aux apprentissages : la notion d’architexte, forgée par Yves Jeanneret, permet de sérier les formes et formats d’écriture des outils d’édition numérique, de distinguer les contraintes éditoriales qui les sous-tendent : par exemple l’outil Padlet permet de constituer sous forme de « mur virtuel » des collections d’images ou de vidéos et de les documenter [10]. L’outil Thinglink sert lui à découper une image en zones sensibles auxquelles on peut relier tout type d’annotation (texte, image, vidéo, son, hyperliens).

Cette image augmentée peut ensuite être intégrée dans d’autres documents, un processus éditorial qui illustre la notion de redocumentarisation en tant que propriété du document numérique et en tant que « savoir d’action ». Le document de collecte peut devenir à son tour un objet d’études qui dévoilera cet arrière-plan où la technologie façonne l’information et la forme du document (Jeanneret, 2005).

Conclusion : construire des « savoirs d’expérience » à partir de situations de collecte

C’est au travers des situations de collecte que l’élève va développer et enrichir ses « arts de faire ». Quittant peu à peu une perception « imaginaire » qui formate ses pratiques routinières, l’élève va se forger une culture informationnelle « en acte », comprendre les effets de la redocumentarisation [11] en les expérimentant de manière réflexive (Latour, 2011).

Le document de collecte en tant qu’« écrit réflexif » et instrument d’une didactique relève du modèle pédagogique de la « contre-transposition » qui « s’exerce à partir des pratiques et des activités menées dans l’école, en travaillant au repérage des savoirs d’expérience, à l’extraction des savoirs de l’action, et en mettant les savoirs en mouvement » (Frisch, 2008).

Il reste encore à approfondir l’exploration de ces différents savoirs qui portent sur les effets des modes de publication, de partage et de circulation des documents en ligne : le concept de « trivialité » forgé par Yves Jeanneret, loin de désigner un processus dégradant, permet d’explorer à nouveaux frais « cette économie du document » et des « écrits de collecte », pensés comme partage, « art de (re)faire », « poétique » de la (re)création et vecteur de la textualité numérique (Jeanneret, 2008).

Références bibliographiques

Recherche et évaluation de l'information : De l'interrogation d'un outil de recherche au document de collecte, quels contenus enseigner, quels parcours de formation ? de FADBEN

Notes

[1] Karine Aillerie souligne que « les représentations de la compétence en recherche d’information révèlent en creux à quel point le tâtonnement individuel imprègne les pratiques informationnelles tous contextes confondus, non pas tant pour la manipulation technique des outils mais bien pour s’informer au sens du processus intellectuel. »

[2] "L’importance de la source et de son autorité sont assez mal perçues" cf l’enquête sur les connaissances en information-documentation des élèves du secondaire : pistes pédagogiques sur la notion d’indexation, p. 159. 2015. Disponible sur le web : http://fadben.asso.fr/2015_05_21_synthese_enquete_web/co/synthese_enquete_web.html

[3] Selon Anne Cordier, l’approche méthodologique fige les pratiques pédagogiques puisqu’elle "témoigne d’une conception très normative et systématique de la démarche de recherche, laquelle serait composée d’invariants inconditionnels, transférables quelle que soit la tâche à effectuer".

[4] Voir la notice "Evaluation de l’information" du Wikinotions Infodoc de l’A.P.D.E.N. ex-FADBEN http://apden.org/wikinotions/index.php?title=Evaluation_de_l%27information

[5] Réponse à la question sur les « fuseaux granulaires », le Guichet des savoirs, BM de Lyon. Consultée le 29/11/2015. http://www.guichetdusavoir.org/viewtopic.php?t=63688&classement=recentes

[6] cf enquête Ipsos "Print, tablettes, autres écrans : Les nouveaux usages des moins de 20 ans". IPSOS, mars 2014. Disponible sur le web : http://www.offremedia.com/media/deliacms/media/1269/126948-c88c4b.pdf

[7] Selon Rudy Reichstadt, directeur du site Conspiracy Watch, un observatoire des théories du complot, les jeunes « se font leur culture historique sur le web et tombent sur des vidéos qui leur expliquent le monde en vingt minutes avec des méchants et des gentils... », cité dans Le Monde du 20 avril 2014, p. 17

[8] cf Divina Frau-Meigs "la culture alphabétique hégémonique est partiellement supplantée par la culture visuelle"

[9] Voir le centre d’aide Google images : "Cet attribut fournit à Google des informations utiles sur le sujet de l’image. Nous utilisons ces informations pour déterminer les images pertinentes à renvoyer lors d’une requête formulée par un utilisateur"

[10] voir le cours en ligne "cultures numériques dans l’enseignement", Université de Rennes 2, http://www.ressources.univ-rennes2.fr/cultures-numeriques-dans-l-enseignement/plateforme/

[11] Comme le souligne Bruno Latour, "les documents déreliés par la métamorphose du numérique obligent à réinventer une à une chaque compétence que l’on croyait acquise par les générations précédentes grâce à l’habitude de lire des livres sur papier reliés et clôturés..."

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