5.1. Une chronologie des décisions et discours nationaux
Depuis 2012 et l'engagement dans la Refondation de l'école de la République, un certain nombre de décisions ont été prises par le Ministère de l'Education nationale et par les services qui lui sont associés, ainsi par l'IGEN-EVS, inspection générale Etablissement-Vie scolaire, la DGESCO, et notamment la DNE, direction du numérique pour l'éducation, ou encore Canopé et le CLEMI. Pour l'IGEN-EVS, la DNE et Canopé, il s'agit de décisions effectives, d'organisations des services, mais surtout de publications et de discours qui peuvent s'écarter des textes officiels. Relevons ces éléments, y compris les textes officiels, en les analysant rapidement et en renvoyant souvent vers des analyses plus précises disponibles en ligne :
[Discours] En mai 2013, Jean-Marc Merriaux, directeur de Canopé, annonce que les professeurs documentalistes, ou plutôt les CDI, arrivent en bout de chaîne pour la diffusion des ressources produites par Canopé, sans dire un mot, jamais, de leur mission pédagogique, ce lors de la conférence du PNF « Cultures numériques, éducation aux médias et à l'information »[1].
[Texte réglementaire] En juillet 2013, par un arrêté, le référentiel des compétences professionnelles des métiers du professorat et de l'éducation[2] précise les attendus de la formation initiale des professeurs documentalistes. Ils partagent l'ensemble des compétences communes aux professeurs, à savoir maîtriser les savoirs disciplinaires et leur didactique, maîtriser la langue française dans le cadre de son enseignement, construire, mettre en œuvre et animer des situations d'enseignement et d'apprentissage prenant en compte la diversité des élèves, organiser et assurer un mode de fonctionnement du groupe favorisant l'apprentissage et la socialisation des élèves, et évaluer les progrès et les acquisitions des élèves. En plus, sont précisées des compétences spécifiques : maîtriser les connaissances et les compétences propres à l'éducation aux médias et à l'information, mettre en œuvre la politique documentaire de l'établissement qu'il contribue à définir, assurer la responsabilité du centre de ressources et de la diffusion de l'information au sein de l'établissement, contribuer à l'ouverture de l'établissement scolaire sur l'environnement éducatif, culturel et professionnel, local et régional, national, européen et international.
[Texte réglementaire] En juillet 2013, la Loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013 d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République[3], dans l'article 53, impose une éducation aux médias et à l'information (EMI) au collège.
[Organisation des services] Au printemps 2014, au sein de la DGESCO, la documentation, et par conséquent l'information-documentation et l'EMI, dépendent dorénavant de la DNE, direction du numérique pour l'éducation, induisant une focalisation sur le seul numérique au détriment des autres supports (documentation imprimée, presse écrite, histoire de la communication...), contre la logique des travaux et réflexions professionnels.
[Texte réglementaire] En août 2014, le nouveau décret sur les obligations de service des enseignants[4] précise que
« les professeurs de la discipline de documentation et les professeurs exerçant dans cette discipline sont tenus d'assurer un service d'information et documentation, d'un maximum de trente heures hebdomadaires. Ce service peut comprendre, avec accord de l'intéressé, des heures d'enseignement. Chaque heure d'enseignement est décomptée pour la valeur de deux heures pour l'application du maximum de service prévu à l'alinéa précédent ; six heures consacrées aux relations avec l'extérieur qu'implique l'exercice de cette discipline. »
[Publication] A la rentrée scolaire 2014, Canopé publie l'ouvrage CDI : perceptions et réalités, de Claude Poissenot, dont la méthode et l'orientation sont largement remis en question par les différentes communautés professionnelles auxquelles il s'attaque[5], avec, de la part de l'auteur, une réduction du rôle pédagogique du professeur documentaliste pour favoriser l'accueil et la gestion.
[Texte réglementaire] Entre les derniers projets du Socle commun et le Socle final publié par décret en mars 2015, de nombreux éléments associés à des notions d'information-documentation sont supprimés[6], réduisant la lisibilité des enjeux associés à l'information-documentation ou à l'éducation aux médias et à l'information, notamment pour les autres enseignants et pour les parents.
[Texte réglementaire] En avril 2015, la circulaire d'application du décret relatif aux obligations de service[7] indique que
« le service de documentation des professeurs documentalistes est organisé dans le cadre de maxima de service hebdomadaires également inchangés : un service d'information et documentation de 30 heures auxquelles s'ajoutent 6 heures consacrées aux relations avec l'extérieur. »
Ainsi le service demeure en effet inchangé, sans aucune réflexion institutionnelle sur l'évolution de la profession depuis 1979. Par ailleurs, la circulaire donne les précisions suivantes :« Concernant les professeurs documentalistes, le décret n'opère pas de distinction entre les enseignants des différents corps qui peuvent être chargés, avec leur accord, de fonctions de documentation et ceux ayant été recrutés par la voie du Capes de documentation. Ils doivent assurer un service hebdomadaire de 36 heures dans les conditions présentées ci-dessus. Les 30 heures peuvent comprendre, avec leur accord, des heures d'enseignement telles que définies au 1 du B du I de la présente circulaire. Chacune d'elle est alors décomptée pour la valeur de 2 heures. Les intéressés ne peuvent bénéficier d'heures supplémentaires. »
L'absence de droit aux heures supplémentaires apparaît comme un élément évident d'inégalité de traitement, et la définition des heures d'enseignement reste sujette à des interprétations diverses et variées.
[Discours] Le 9 novembre 2015, Michel Reverchon-Billot explique, dans la réunion IAN documentation[8], que « l'EMI n'est pas une discipline mais bien un élément fondamental, un enseignement porté par la loi, mais qui n'est pas inscrit dans les grilles horaires », entendant, selon les termes du décret sur les obligations de service, que les professeurs documentalistes ne peuvent prétendre à un décompte horaire de ces apprentissages en tant qu'heures d'enseignement, confirmant les propos rapportés de Florence Robine, à la direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO), lors de réunions de présentation de la réforme du collège.
[Organisation des services] Au début du mois de novembre 2015, Divina Frau-Meigs démissionne de la direction du CLEMI, après une première alerte à la fin du mois de septembre, dénonçant le manque d'indépendance et le manque de moyens pour le CLEMI[9], sans que ces remarques soient entendues.
[Texte réglementaire] Entre le dernier projet des programmes et les programmes publiés par arrêtés du 9 novembre 2015, les notions de l'information-documentation sont expurgées du texte, ne laissant qu' une liste de compétences essentiellement procédurales[10] dans une EMI qui s'appuie pourtant largement sur les propositions du GRCDI et de l'A.P.D.E.N. La responsabilité de l'éducation aux médias et à l'information est distribuée à tous les enseignants, dans les programmes, sans considération d'une spécialisation des professeurs documentalistes dans ce domaine, en contradiction avec leur pratique professionnelle et avec le référentiel de compétences professionnelles.
[Texte réglementaire] Aucun programme, mentionné comme tel, n'est formulé pour le cycle 3, qui concerne en particulier la 6ème, pour l'information-documentation, avec cependant des contenus qui renvoient aux savoirs de référence des professeurs documentalistes[11] sans davantage de moyens horaires.
[Publication] Sous la responsabilité de la DNE, la mise à jour du dossier Éducation aux médias et à l'information, sur le site web Eduscol, portail national des professionnels de l'éducation, en novembre 2015, ignore le travail fait et à faire des professeurs documentalistes dans les établissements du secondaire[12].
[Organisation des services] Le 17 décembre 2015 une convention ou accord-cadre est signé entre le Ministère de l’Éducation nationale, le Ministère de la culture et Canopé[13], sans aucune mention du travail des professeurs documentalistes et de l'information-documentation dans les documents produits à cette occasion, en s'en remettant à des intervenants extérieurs pour assurer une éducation aux médias et à l'information confondue avec l'éducation aux médias.
[Organisation des services] Lors de cette même cérémonie de convention[14], Fleur Pellerin estime que Mediaeducation.fr doit être l'espace de partage pour l'éducation aux médias, blog de deux ans dont une des deux animatrices est chargée de communication à la DNE.
[Discours] Le 9 février 2016, la Ministre de l’Éducation nationale Najat Vallaud-Belkacem prononce un discours positif sur le rôle pédagogique des professeurs documentalistes[15], laissant supposer une meilleure considération à leur sujet, avec une approche intéressante des enjeux auxquels ils peuvent répondre, ces personnels étant présentés comme les « véritables maîtres d'œuvre de l'acquisition par tous les élèves d'une culture de l'information et des médias », sans que cette expression laisse place à la confusion dans la suite du discours :
« Cette place, les nouveaux programmes de la scolarité obligatoire la réaffirment, avec une mention explicite dans les programmes du cycle 4 (5e, 4e, 3e). Grâce à eux, les élèves accèdent à une compréhension des médias, des réseaux et des phénomènes informationnels dans toutes leurs dimensions : économique, sociétale, technique, et éthique. Ils donnent aux élèves les connaissances nécessaires pour maîtriser l'information, et avoir, devant les écrans, une distance critique et une autonomie réelle. »
[Publication] Le 18 août 2016, le Cabinet de la Ministre, suite à une question posée par le sénateur Daniel Laurent, distingue les professeurs documentalistes des enseignants du second degré[16] et estime qu'ils ne participent pas à l'évaluation des élèves. Ces éléments sont mis en avant au moins depuis 2009 pour écarter toute revendication associée à la mission d'enseignement.
[Publication] En septembre 2016, à Bordeaux Michel Reverchon-Billot répond à une série de questions préétablies autour de l'EMI[17] : il estime notamment que l'EMI doit être pilotée par le chef d'établissement, qu'il faut partager avec les professeurs documentalistes leur expertise en EMI de manière à la mettre en œuvre dans les différentes disciplines, avec, au-delà de l'intervention directe auprès des élèves, sans la rejeter donc,
« une forme de conseil auprès des équipes pédagogiques et chefs d'établissement, notamment pour construire au sein du conseil pédagogique, avec les professeurs de discipline et les personnels éducatifs, une forme de progression, de programmation des apprentissages en EMI tout au long de la scolarité »
pour des approches complémentaires sur les concepts, pour amener une réflexion sur l'évaluation.
[Publication] Dans son « Bilan de la mise en place des décrets sur les nouvelles obligations réglementaires de service et le régime indemnitaire des enseignants du second degré »[18], remis à la Ministre en septembre 2016, l'IGAENR élude les questions relatives à l'application des textes au sujet des professeurs documentalistes, notamment pour le décompte des heures d'enseignement, ou encore sans jamais que les questions de recrutement fussent abordées. Dans le même temps, le principal syndicat des chefs d'établissement, invité aux négociations relatives à la circulaire de mission, s'inquiète d'une éventuelle « fermeture » des CDI.
[Organisation des services] Le 17 octobre 2016, la DNE commande aux IAN Documentation académiques, par courriel, de « produire des fiches compréhensibles par l'ensemble des enseignants » dans le cadre de l'EMI, avec une fiche par compétence à produire.
[Publication] A la fin du mois d'octobre 2016, après le choix d'un nouveau référentiel de compétences numériques par le Ministère, celui-ci lance, en collaboration avec Orange, la plateforme PIX en version bêta[19], plateforme qui est amenée à devenir un moyen d'évaluation et de certification. Au mois de novembre, la deuxième version, dans un questionnaire intitulé « information et données », mélange « recherche d'information, gestion et traitement de données », avec l'évaluation de compétences de recherche qui ne souffrent d'aucune démarche intellectuelle au-delà de recherches simples, avec des textes à trous, des QCM...
[Publication] A l'occasion du salon de l'éducation, du 18 au 20 novembre 2016, le CLEMI présente un nouveau développement de son acronyme, « le centre pour l'éducation aux médias et à l'information » et un ensemble de missions qui dépassent l'éducation aux médias pour concerner toute l'éducation aux médias et à l'information, sans aucune mention des professeurs documentalistes dans son dossier de presse[20]. Cette orientation nouvelle dépasse la seule question des médias d'information, contre ce qui avait été porté à la connaissance de l'A.P.D.E.N. lorsque l'association a rencontré Canopé[21].
[Publication] Le 16 décembre 2016, la DNE persiste, malgré l'évidence de compétences spécifiques et de travaux menés par les professeurs documentalistes, à considérer que « l’Éducation aux Médias et à l'Information est intrinsèquement transversale et irrigue naturellement toutes les disciplines scolaires », considérant que le travail des professeurs documentalistes doit être investi par les autres enseignants. On retrouve ce discours dans une mise à jour sur Eduscol du dossier EMI[22], toujours dans les rubriques « Enseigner avec le numérique » et « Culture numérique »...
[Discours] Lors des journées du PNF Cultures numériques, Education aux médias et à l'information[23], à l'ENS Lyon les 9 et 10 janvier 2017, la conclusion est assurée par le directeur de Canopé Jean-Marc Merriaux.