2015
avr.
13

La Refondation

De réelles perspectives pour l’information-documentation ?

NOTE : afin de faciliter la lecture, nous précisons que le premier projet de socle commun de connaissances, de compétences et de culture rédigé par le CSP, en date du 8 juin 2014 [1], est ici nommé « première version » ; le second projet de socle commun de connaissances, de compétences et de culture rédigé par le CSP, en date du 12 février 2015 [2], est appelé « seconde version » ; enfin, le décret correspondant, rédigé par la DGESCO, publié au JO le 31 mars 2015 [3] correspond à la « version finale ». Nous vous proposons en document joint, le document de travail formalisant le tableau comparatif de ces trois versions.

Socle commun de connaissances, de compétences et de culture - tableau comparatif : projet 1 du CSP / projet 2 du CSP / version publiée au JO sur la base de la réécriture effectuée par la DGESCO et soumise au CSE.

Le 12 février 2015, le Conseil supérieur des programmes (CSP) a rendu public un second projet amendé du Socle commun de connaissances, de compétences et de culture [4]. Avant de revenir dans le détail sur les modifications qui ont été apportées, en particulier dans le champ de qualification des professeurs documentalistes, il est important de souligner, sans jugement sur le fond, la démarche d’explication pédagogique qui nourrit cette seconde version.

C’est en particulier le cas lorsqu’il s’est agi pour les auteurs de rappeler l’approche transversale dans les objectifs du Socle, et son articulation avec la réflexion actuellement menée sur les nouveaux programmes. Il en résulte une présentation où les objectifs et enjeux généraux, ainsi que ceux de chaque domaine, sont davantage développés ; à l’inverse, les contenus ont été largement condensés, entraînant la disparition d’une partie conséquente du texte initial et, en particulier, la suppression des « champs d’activités correspondants » à chaque domaine. Cette suppression entraîne de fait la disparition de nombreux éléments qui auraient pu servir d’appui au développement de la mission pédagogique du professeur documentaliste :

Domaine 1 – Champs d’activités correspondants
« Les langages sont à la fois des objets de savoir et des outils, toutes les disciplines contribuent à leur acquisition. Cette acquisition passe par des activités d’écriture intensive et des échanges verbaux structurés (ateliers d’écriture, ateliers d’éducation aux médias et à l’information, exposés, débats argumentés, interactions linguistiques …), des productions artistiques individuelles et collectives, des activités physiques et sportives, des activités de recherche permettant de mobiliser différents langages pour décrire des phénomènes, organiser des données et les interpréter, pour raisonner, argumenter et pour communiquer ses recherches et ses résultats à l’écrit et à l’oral. » (nous soulignons)

Domaine 2 – Champs d’activités correspondants
« Apprendre à apprendre et à comprendre est un enjeu qui concerne l’ensemble des champs et des disciplines. Les méthodologies du travail ne s’apprennent qu’en situation. Mais il faut leur consacrer le temps nécessaire et les explicitations suffisantes. L’école ne peut exiger ce qu’elle n’a pas enseigné. Un équilibre doit être trouvé entre des activités collectives et des activités individuelles ; la mise en commun des recherches, des pratiques et des difficultés permet de lever bien des obstacles. En outre, savoir apprendre une leçon, rédiger un devoir, préparer un exposé, travailler à un projet, requiert l’usage de tous les outils à la disposition de l’élève, la fréquentation des bibliothèques et centres de documentation, l’usage de l’ordinateur. Le recours à ces outils et aux ressources de ces lieux doit donc faire l’objet lui aussi d’un apprentissage planifié. L’élève, par des mises en ligne, la publication, l’exposition, le spectacle, les rencontres sportives …, apprend à partager et à participer à des productions communes qui stimulent son intérêt. » (nous soulignons)

Ce constat se vérifie dans la version finale du texte, dont la publication au JO du 31 mars 2015 fait de ce nouveau décret le texte de référence pour la mise en œuvre du Socle de connaissances, de compétences et de culture.

Toutefois, garder à l’esprit l’objectif général de la réécriture opérée par le CSP constitue un élément de prudence à l’encontre d’interprétations trop hâtives, quoi qu’il soit inconfortable de devoir attendre les premières publications des groupes de réflexion sur les programmes pour pouvoir prétendre à une lecture complète des travaux du CSP.

Afin de se faire une meilleure idée sur ce point, la FADBEN s’est livrée à une lecture attentive du décret rédigé par la DGESCO et validé en CSE (conseil supérieur de l’éducation), en gardant à l’esprit les deux projets publiés par le CSP. L’approche générale de ce texte, dans sa rédaction, peut paraître davantage disciplinaire. L’article 1 sollicite toutefois la « contribution transversale et conjointe de toutes les disciplines et démarches éducatives ». Notons ici que les « démarches éducatives » renvoient aux éducations à, dont l’EMI, ainsi qu’à l’intervention potentielle de prestataires extérieurs à l’école. Par ailleurs, ce même article précise également que les « objectifs de connaissances et de compétences de chaque domaine de formation sont déclinés dans les programmes d’enseignement » : l’articulation avec les travaux des groupes de réflexion du CSP sur les programmes est de nouveau ici essentielle, d’autant que l’artile 1 précise que la « contribution de chaque discipline ou enseignement » est attendue. Les modifications apportées aux contenus du Socle commun, entre le premier projet proposé par le CSP et le décret final, sont très importantes. Nous proposons donc ici une analyse comparée de ces différents documents, tant nous estimons la disparition des savoirs de l’information-documentation flagrante et inquiétante au fil des versions.

QUELLE PERSPECTIVE SUR LES CONTENUS ?

Nous observons, dans la seconde version du Domaine 1, que la réécriture opérée par le CSP a entraîné la disparition de nombreux contenus qui pouvaient renvoyer à des savoirs de l’information-documentation : « L’élève apprend à lire, comprendre et exploiter des textes, des documents divers, des images et des sons, des énoncés scientifiques, des données numériques, des tableaux et des graphiques […] les informations fournies par les différents éléments qui composent un document. » « L’évolution des moyens de communication, la place des images fixes ou mobiles et des univers sonores, la diversité de leur production et de leurs supports, le déploiement des supports numériques et des réseaux à tous les niveaux de la société, rendent nécessaire la connaissance de leur mode de production et de signification, et des codes qu’ils utilisent. L’élève en identifiant la nature et le fonctionnement de ces différents types de communication en comprend les enjeux, est capable de les démystifier et accède à un usage raisonné et responsable des médias. »

De fait, l’apport des professeurs documentalistes dans la seconde version de ce domaine est devenu quasiment inexistant, et ne subsiste plus qu’à travers deux mentions, lorsque l’élève « cherche et extrait avec pertinence et de façon critique des informations de différentes sources » et lorsqu’il « lit, interprète, commente, produit des tableaux, des graphiques et des diagrammes organisant des donnés de différentes natures ». La première citation est encore reformulée dans la version finale, opérant un glissement au détriment de l’information-documentation pour la replacer dans le champ de l’enseignement de la langue : « [l’élève] combine avec pertinence et de façon critique les informations explicites et implicites issues de sa lecture ».

Dans la seconde version du projet, la lecture et l’utilisation des médias culturels comme éléments de développement de la culture personnelle ont disparu du Domaine 5, et nous espérions qu’elles se retrouveraient dans cet « intérêt à lire » évoqué dans le Domaine 1. Nous notons heureusement, et la FADBEN a œuvré en ce sens, que dans la version finale, le plaisir de lire a bien été réintégré. Nous nous félicitons, sur ce point, de la cohérence du texte qui, dans l’annexe, précise que les connaissances et compétences doivent permettre à l’élève de « s’épanouir personnellement ».

Pour l’essentiel, dans la seconde version du projet de Socle, le champ de qualification des professeurs documentalistes semble ne plus devoir s’exprimer que dans le Domaine 2, qui a été largement réorganisé. Celui-ci y fait l’objet d’un « enseignement explicite des moyens d’accès à l’information, à la documentation et aux médias », sans pour autant être « déconnecté des disciplines ». La voie choisie est celle d’un « apprentissage explicite en situation », que l’on retrouve dans la version finale, dont on peut supposer que ce qui fait sens tient de la perspective disciplinaire, au risque de faire perdre aux savoirs de l’information-documentation leur substance.

Notons également que cette mention d’un enseignement explicite se voit amputée, dans la version finale, du terme médias. Dans l’Article 1er du décret, celui-ci se trouve reporté dans le Domaine 1, qui renvoie à l’acquisition des langages ; il n’est pourtant, par la suite, jamais question des médias dans le détail de la présentation dudit Domaine. Les contenus qui se réfèrent aux médias sont en fait bien développés dans le Domaine 2. Ils y sont cependant assimilés à la presse, sans considération pour les médias en tant que dispositifs sociotechniques, ce qui constitue une référence dont l’usage est aujourd’hui incomplet et imprécis. Il y a là, manifestement, une contradiction surprenante, doublée d’une méconnaissance théorique sur les savoirs de référence des Sciences de l’Information et de la Communication (SIC), auxquelles sont rattachées la documentation.

QUELLE PERSPECTIVE SUR LES PRIORITÉS ?

Dans la seconde version du CSP, on observe par ailleurs une modification dans l’ordre des sous-domaines du Domaine 2, qui pourraient concerner les professeurs documentalistes, modification confirmée par le décret. La priorité est désormais donnée à l’entrée méthodologique, sans doute plus propice à une approche transversale. Les techniques usuelles de l’information et de la documentation, auxquelles les médias ont été adjoints dans la deuxième version du CSP, passent ainsi de la première à la troisième position. Les techniques et les règles des outils numériques reculent quant à elles de la deuxième à la quatrième position. Les compétences liées à l’organisation du travail, à la coopération et à la réalisation de projets les précèdent maintenant.

L’exercice de synthèse ayant guidé la rédaction de la seconde version du projet de Socle a par ailleurs sensiblement réduit la place des savoirs de l’information-documentation ; on y constate ainsi la disparition de l’ensemble des contenus suivants : « [L ’élève] connaît les principes de la production de l’information et de son accès (notions de sources, de documents, auteur, éditeur, classement, dépôt légal, droits...). […] Il s’est initié à l’usage des outils de recherche et au traitement de l’information sur tous supports. Il sait confronter différentes sources d’information et s’interroger sur la crédibilité que l’on peut accorder à ces sources. L’élève est initié à l’usage de l’internet, il maîtrise la navigation hypertexte, il est capable de créer des documents pour les adresser à divers destinataires. Il sait utiliser des sites collaboratifs, et garder la mémoire de ses travaux. Il sait synthétiser et restituer l’information à l’oral et à l’écrit. Il est conscient de la complexité de ce champ dans les sociétés contemporaines et de la nécessité d’être un récepteur et un utilisateur critique et honnête de l’information. Il a compris que l’information ne suffit pas à la connaissance mais qu’elle en est une première étape. »

Pour autant, ces savoirs, bien que très réduits, sont toujours présents dans les quatre sous-domaines de la seconde version ; mais au-delà de la hiérarchie retenue, la terminologie employée questionne : trois des quatre sous-domaines privilégient une entrée par les outils. Les deux sous-domaines orientés « méthodologie » évoquent les compétences, que l’on peut comprendre dans une acception qui intègre les connaissances déclaratives. Les deux autres sous-domaines proposent une « maîtrise [des] techniques » qui privilégie cette fois les connaissances procédurales. De fait, on observe un hiatus entre l’énoncé des sous-domaines, davantage centrés sur la méthodologie et l’acquisition de procédures, et le développement de ces mêmes sous-domaines, qui renvoie plutôt à des connaissances déclaratives, métacognitives ou stratégiques :

  • « Il connaît des éléments d’histoire de l’écrit et de ses supports. »
  • « Il comprend le fonctionnement et le rôle de l’image. L’usage réfléchi des outils de recherche et du traitement de l’information sur tous supports lui permet de confronter différentes sources d’information et de s’interroger sur la crédibilité que l’on peut accorder à ces sources. »
  • « Par l’éducation aux médias, il est initié aux principales techniques de production et de diffusion de l’information. »
  • « Il s’intéresse à la presse écrite et audiovisuelle et en connaît les principaux codes. »

L’origine de ce décalage se trouve dans la partie 2. Structure du Socle commun : pour le Domaine 2, l’enseignement proposé vise en effet les « moyens d’accès à l’information, à la documentation et aux médias » (nous soulignons). Cette mention crée ainsi une confusion : dans la formulation des titres, la maîtrise de l’information constitue le cadre de référence du Socle commun, dans une approche orientée « outils » ; à l’inverse, les contenus développés relèvent davantage d’une culture de l’information. Cette aporie sémantique n’est pas neutre puisqu’elle disqualifie l’approche plus globale de la culture de l’information, fondée sur des connaissances et des compétences, qui constitue pourtant l’objectif du Socle commun.

Ce paradoxe se retrouve dans le décret, qui valide la formulation relevée ci-avant et re-titre le Domaine 2 : une nouvelle fois, quoique l’on puisse y trouver, dans cette dernière version, un objectif de compréhension pour les médias, il est question des démarches de recherche et de traitement de l’information dans une approche utilitaire. La logique de cette reformulation se trouve mise en œuvre dans le développement des contenus dudit Domaine, faisant perdre aux contenus de l’information-documentation encore présents un peu plus de leur substance. L’approche privilégiée est clairement procédurale, au préjudice d’une approche instrumentale qui pourrait être privilégiée lorsque l’on attend d’un élève qu’il apprenne « à utiliser avec discernement les outils numériques de communication et d’information qu’il côtoie au quotidien, en respectant les règles sociales de leur usage et toutes leurs potentialités pour apprendre à travailler [et] qu’il accède à un usage sûr et éthique pour produire, recevoir et diffuser de l’information ».

CONCLUSION

Nous retrouvons d’autre part, dans la version finale, cette approche réductrice, orientée « outils » au sujet du numérique. La présentation du sous-domaine « Outils numériques pour échanger et communiquer », dans le Domaine 2, en est représentative. En comparaison de la seconde version du texte du CSP, la formulation « L’élève maîtrise les techniques et les règles des outils du numérique » est amputée de deux termes significatifs pour devenir « L’élève sait mobiliser différents outils numériques » : seule la dimension fonctionnelle a été conservée. C’est peu, et d’autant plus préjudiciable que les savoirs de l’information-documentation semblent être dilués dans cette approche utilitariste du numérique. C’est particulièrement flagrant dans la formulation « la capacité à utiliser de manière pertinente les technologies numériques pour faire des recherches, accéder à l’information, la hiérarchiser et produire lui-même des contenus », que l’on trouve en présentation du Domaine 2.

Cette soumission de l’information-documentation au numérique est une nouvelle aporie qui ne permettra pas aux élèves d’aborder la complexité des savoirs, ni de l’information-documentation, ni du numérique. Nous souhaitons qu’il n’en soit pas de même pour le Domaine 3, dont nous constatons tout l’intérêt en matière de compréhension de la règle et du droit, ainsi que pour le développement du jugement, garant d’un vivre ensemble pacifiquement. Dans un contexte de communication large, porteuse d’objectifs ambitieux autour de l’EMI, nous ne pouvons ainsi qu’être vivement interpellés par des formulations qui, au fil des versions du projet de Socle, laissent transparaître une forme de recul sur la mise en place de cadres propices à l’acquisition d’une culture de l’information par les élèves. La FADBEN restera mobilisée dans le suivi de l’évolution des travaux du CSP, en particulier dans l’articulation qui sera pensée entre le Socle commun et les nouveaux programmes.

Documents

Socle commun de connaissances, de compétences et de culture - tableau comparatif : projet 1 du CSP / projet 2 du CSP / version publiée au JO sur la base de la réécriture effectuée par la DGESCO et soumise au CSE.
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