2012
mai
14

Y a-til un professionnel de l’information au CDI ?

De la solubilité du professeur documentaliste dans le centre de documentation et d’information

Les CDI, dans leur acception actuelle, ont trente-cinq ans et les professeurs documentalistes issus du CAPES en ont vingt. Cette différence d’âge justifie-t-elle l’absence de visibilité des personnels responsables des centres de documentation et d’information ?
A travers les termes qui désignent les CDI et ce qu’ils représentent pour l’Institution, en étudiant les rapports entre le lieu et les professeurs documentalistes, nous tenterons de montrer combien il est indispensable de penser notre fonction en nous détachant du lieu. Il nous faut aussi être vigilants à ne pas contribuer nous-mêmes à conforter les représentations existantes.

Article paru en Octobre 2009 dans le n°3 de Médiadoc.

Les avatars du CDI

La métaphore du corps a souvent été utilisée pour localiser le CDI dans l’établissement :

  1. « Un centre documentaire […] est quelque chose autour d’un cœur et d’un système nerveux et il ne vit que par eux » [1]
  2. « Installer le CDI au cœur de l’établissement » [2]
  3. « le CDI comme appendice de la classe » [3]
  4. « Le CDI "poumon du lycée" » [4]

Représentations et regards croisés sur le lieu soulignent la richesse et la variété de ses fonctions. « Carrefour de la vie éducative et de l’activité pédagogique » (rapport Tallon, 1974), le CDI est vu comme une garderie, un sanctuaire, un supermarché, un tremplin pour l’innovation (1987), « comme catalyseur de l’action » [5], « université sans professeurs » [6]. « outil qui questionne » et « partenaire pédagogique » [7] . Mais aussi comme un « espace de médiation et de normalisation » [8], ou encore un « lieu d’information et de formation » [9]
On trouve fréquemment les termes de « pivot », de « charnière » et l’insistance sur le lieu « central et polyvalent ». A l’opposé, j’ai entendu un jour de rentrée deux élèves passer devant le CDI et dire : « J’ai jamais compris à quoi ça servait, ce truc-là ! » (sic) [10]

CDI et professeur documentaliste dans les instructions officielles et les programmes

**Dans les rapports officiels

Dans ma sélection de textes officiels, je fais à dessein l’impasse sur certains, soit qu’ils aient déjà fait l’objet de force débats, soit qu’ils aient permis de faire avancer notre réflexion commune (je pense en particulier au rapport Assouline).

Le rapport Tallon [11] (1974) remplace le terme SDI (service de documentation et d’information) par celui de CDI. Même si le titre du rapport concerne le lieu CDI, on est frappé de comptabiliser douze occurrences de « responsable du CDI » et trente-deux de « documentaliste » ou « documentaliste bibliothécaire ». Sept fonctions sont précisées dans la mission des documentalistes, elles renvoient à la technique, à l’accueil, à l’information générale, aux relations publiques, aux loisirs, à l’information scolaire et professionnelle, à la pédagogie.

La circulaire de missions de 1986, dont le CDI n’est pas directement l’objet, cite néanmoins neuf fois le CDI pour onze occurrences de documentaliste bibliothécaire, preuve que le sort de l’un est lié à l’autre.

Le rapport Bourdieu-Gros [12](1989) dont l’objectif est de réfléchir sur les contenus d’enseignement, souligne l’importance de combler des « lacunes inadmissibles » « en matière de modes de pensée ou de savoir faire fondamentaux qui, parce qu’ils sont censés être enseignés par tout le monde, finissent par n’être enseignés par personne ». En outre, il incite à « privilégier les enseignements qui sont chargés d’assurer l’assimilation réfléchie et critique des modes de pensée fondamentaux comme […] le mode de pensée réflexif et critique ». Il met aussi l’accent sur certains apprentissages qui incombent aux professeurs documentalistes : « utilisation du dictionnaire, établissement d’un fichier, création d’un index, utilisation d’un fichier signalétique ou d’une banque de données, recherche documentaire… » [13] Ce rapport s’inscrit dans une perspective de travail décloisonné et dans une logique d’échange d’information « sur les contenus et les méthodes d’enseignement ». Il suggère aux enseignants « d’enrichir, de diversifier et d’élargir leur enseignement en sortant des frontières strictes de leur spécialité ou en donnant des enseignements en commun. ». On y pressent, plus d’une décennie avant leur mise en œuvre, l’esprit des dispositifs transversaux tels que les travaux croisés, les IDD, les TPE, les PPCP. [14]

« Information et documentation en milieu scolaire » (janvier 2001) est « le résultat d’un travail de réflexion sur la documentation, conduit par le groupe Établissements et Vie scolaire de l’IGEN (Inspection générale de l’éducation nationale)  [15] dirigé par Guy Pouzard. La conclusion propose des pistes pour « une nouvelle définition du métier par l’administration de l’Education Nationale ». Il est intéressant de noter que les termes de CDI et de documentaliste y figurent de façon équilibrée donnant du sens à la relation entre lieu et fonction. On y lit également : « Très souvent le CDI est la voie de repli offerte par l’administration à des enseignants incapables pour diverses raisons d’assurer convenablement leur enseignement dans les classes traditionnelles. L’image négative d’une profession ne demandant pas de compétences particulières se construit à cette époque » [16]. L’époque évoquée ici est celle des années 1974-77, mais le constat est, hélas, toujours et plus que jamais d’actualité ! Dans ce rapport, l’accent est mis sur la notion de lien, sur la nécessité pour les élèves de construire « des ’ponts’ entre des îlots de savoir acquis dans les différents enseignements dont les mises en relation n’ont que rarement été effectuées par les enseignants de discipline. » [17] Le CDI est bien ce lieu réticulaire et complexe [18] dont ceux qui en ignorent l’essence pervertissent le sens.
Bien que les instructions officielles contiennent des injonctions à utiliser le CDI, le texte déplore le manque de référence au partenariat pédagogique avec les professeurs documentalistes : « Bien que l’utilisation du CDI (plus que le partenariat pédagogique avec le documentaliste) soit de plus en plus présent dans les instructions officielles, cette démarche est encore loin d’être la règle générale, particulièrement dans les lycées généraux plus soumis à une pédagogie traditionnelle ».
Enfin, la pédagogie et la place de l’information-documentation y sont abordés avec les termes de « pédagogie de la documentation » et de « ‘didactisation’ des apprentissages documentaires ».

Le rapport Périssol [19] (2005) met l’accent sur la « segmentation du savoir induite par l’approche disciplinaire » et en conclut que « l’approche disciplinaire n’est pas performante ». A la question posée : « Quelles compétences développer ? », figure en troisième place : « Se forger un esprit critique, savoir valider, analyser, trier l’information » [20] Le CDI n’y est jamais cité, ni les professeurs documentalistes (preuve une fois de plus de notre absence de visibilité professionnelle) mais les savoirs à acquérir, les ressources (physiques et virtuelles) et l’information font l’objet d’une réflexion intéressante qui converge avec nos préoccupations quotidiennes.

Tout autre est le rapport sur la réforme du lycée de Benoît Apparu [21] (mai 2009) où le CDI (cité quatre fois en 260 p.) n’est envisagé que comme « accès aisé à l’information » (p.138) et comme lieu permettant d’agréger des salles de travail (p.182). Le « documentaliste », dépourvu de son « appendice pédagogique » [22], n’est mentionné que comme aide à l’accès à l’information [23]. Il fait partie de l’équipe éducative… mais à côté des enseignants : « l’équipe éducative (enseignants, CPE, direction, documentaliste, parents …) ».

Enfin, le rapport Descoings [24]] (juin 2009), Préconisations sur la réforme du lycée, consacre au CDI, « poumon du lycée », huit lignes sur 87 p. avec une focalisation sur les horaires d’ouverture : « Matériellement il est primordial de veiller à une amplitude horaire maximale pour l’ouverture du CDI. Une partie de son espace pourrait à cette fin être placée sous la responsabilité des élèves qui en assureraient le fonctionnement, encadrés par les enseignants documentalistes. »
Il est néanmoins écrit en caractères gras que « La formation à la recherche et à l’analyse des informations est une priorité » et qu’elle « mériterait d’être davantage intégrée dans les programmes ».

**Dans les programmes

Force est de constater qu’au fil des ans, la place accordée aux ressources du CDI est de moins en moins présente, qu’en penser ? Soit que le lieu n’est plus identifié comme seul lieu d’accès aux ressources, conséquence de l’explosion des ressources en ligne, soit qu’il fasse désormais partie intégrante du paysage éducatif d’un EPLE, à moins que cette disparition des textes ne soit un signe prémonitoire et la chronique d’une mort annoncée du lieu dans son acception actuelle.
Si jusqu’en 2008, le CDI était le « lieu privilégié de la consultation de la documentation » (Arts Plastiques, 3e) ou « un lieu d’information et de formation » (Histoire Géographie, 6e), un lieu ressource dont on suggérait « l’utilisation méthodique » pour en exploiter les ressources documentaires (ECJS, 2nde), il semble que dans les nouveaux programmes de collège, le lieu soit beaucoup moins cité qu’auparavant, sauf exception, comme en SVT, où on insiste sur le croisement disciplinaire et le travail au CDI avec le professeur documentaliste.
En revanche, les instructions officielles soulignent l’importance du document en Histoire-Géographie et les « convergences avec d’autres disciplines » en Histoire des Arts, ou encore l’initiation à « la sélection et à l’analyse de l’information » en Éducation Civique. Le domaine 4 du B2i (S’informer, se documenter) rappelle l’importance de cette compétence protéiforme.
Les nouveaux programmes insistent, dans chaque discipline, sur la place des TIC avec cette phrase récurrente : « La recherche de documents en ligne permet, comme dans d’autres matières et en collaboration avec les professeurs documentalistes, de s’interroger sur les critères de classement des moteurs utilisés, sur la validité des sources, d’effectuer une sélection des données pertinentes ».
Le lieu CDI disparaît progressivement des textes officiels et le professeur documentaliste par ricochet également. Mais pourquoi et comment nous sommes-nous laissés absorber par le lieu ?

Dissocier CDI et professeur documentaliste

**Métonymies, raccourcis, possessifs... « vous m’avez tué » !

Il me semble que nous sommes partiellement responsables de certaines représentations qui nous reviennent par effet boomerang à cause de formulations maladroites.
Des expressions d’appropriation comme « mon CDI » peuvent contribuer à irriter nos collègues de discipline et à brouiller les pistes : si nous sommes responsables du lieu, nous n’en sommes nullement les propriétaires même si un fort investissement affectif nous y attache légitimement. La marge est certes étroite et les tentations nombreuses d’ouvrir le lieu en l’absence de son responsable, à nous de trouver les réponses appropriées en fonction du contexte, en respectant l’intérêt général et les missions de chacun. Pas facile ! Ce raccourci langagier induit des représentations erronées et nous scellent dans le centre de documentation au risque de nous y assimiler. C’est en rectifiant des « tics de langage », entre autres, que nous ferons prendre conscience que lieu CDI et fonction de professeur documentaliste sont dissociés. C’est également parce que les amalgames ont déjà été faits qu’il est urgent de rappeler des évidences, ce qui n’est pas le cas pour un enseignant de discipline lorsqu’il dit « ma classe », par exemple. Prenons donc le temps de dire « le CDI que je gère » en bannissant le possessif.
« Travailler avec le CDI », cette métonymie couramment employée est également à l’origine de confusions. Cette formulation signifiant « travailler en utilisant les ressources du CDI » ou parfois « avec l’équipe du CDI » nous piège. On la trouve pourtant régulièrement, un petit tour sur un moteur de recherche et on en découvre de nombreuses occurrences, anciennes et nouvelles, dans des extraits de programmes25, des article de revue26, des intitulés de stage27, des questionnaires, dans les projets d’établissement ou autres.

**Variété des statuts, pesanteurs institutionnelles et « esprit de corps »

Il faut bien admettre qu’il est souvent difficile pour le commun des mortels de savoir qui fait quoi et à quel niveau de responsabilité dans un CDI. Ainsi est-on susceptible d’y trouver des personnels avec des statuts divers : collègues de disciplines qui « finissent au CDI »28, collègues issus de listes d’aptitude dont l’attente en formation est grande, sans compter les cadres A d’autres administrations que la pression économique contraint de plus en plus à chercher à survivre dans d’autres administrations29.
De plus, les professeurs documentalistes sont payés deux fois moins que leurs collègues disciplinaires pour une même tâche, leurs heures supplémentaires ne sont pas défiscalisées. Certains textes officiels les placent dans l’équipe éducative mais pas parmi les enseignants. Ces discriminations récurrentes, souvent dénoncées sur les listes de diffusion, montrent bien que la route est encore longue vers une véritable reconnaissance professionnelle.

Pour conclure j’aimerais avancer quelques modestes conseils pour éviter d’être phagocytés par le lieu et avant de devenir totalement transparents :

  • sortir du « bocal » et faire nos séances pédagogiques en salle multimédia, en classe…
  • informer clairement sur qui est qui et qui fait quoi dans l’équipe (si équipe il y a) sans sectarisme ni démagogie,
  • expliquer quelle est notre mission et présenter les possibilités de travail. « Cent fois sur le métier remettez votre ouvrage », car c’est en répétant les choses, en rectifiant les représentations erronées, en informant systématiquement sur notre mission pédagogique (et avec le sourire !) que nous avancerons,
  • s’adapter au milieu sans se départir de nos convictions ni de nos valeurs et changer en douceur les mauvaises habitudes.

Enfin, il me semble que vingt ans après le CAPES, il faudrait qu’un pourcentage de notre emploi du temps soit comptabilisé en heures d’enseignement avec le même comptage que pour nos collègues disciplinaires. Ce qui signifie une discipline de référence (les SIC selon le Rapport Filâtre30), une inspection spécifique, etc. Là, le combat est associatif et syndical

Clotilde CHAUVIN
Professeur documentaliste
DIRE ( Documentation Ingénièrie de Ressources Educatives) CRDP d’Aix-Marseille

Notes

[1L’inspecteur général Marcel Sire (1975), cité par S. Alava et C. Etévé (1999)

[2Préconisation du rapport Blanchet, La vie de l’élève et des établissements scolaires, 1998

[3Information et Documentation en milieu scolaire, 2001

[4Rapport Descoing, Préconisations sur la réforme du lycée, juin 2009

[5Lionel Jospin, discours du 19 mai 1989 au premier congrès de la FADBEN à Strasbourg

[6Un bibliothécaire américain aurait tenu les propos suivant rapportés par Melvil Dewey en 1890 : « Avec les bibliothécaires-documentalistes pour conseiller et guider les lecteurs, avec les catalogues et les index très améliorés, il est tout à fait possible de faire d’une bibliothèque, une université sans professeurs »

[7Britan-Fournier, Odile. « La culture documentaire en milieu scolaire : naissance et évolution », Spirales n°19, 1997. Disponible sur : http://spirale-edu-revue.fr/spip.ph...

[8Rôle et enjeux des Centres de Documentation et d’Information dans l’innovation pédagogique en Rhône-Alpes, 1998, p. 24

[9Programmes d’Histoire géographie, avant 2008.

[10Rentrée 2001, lycée Emile Zola, Aix-en-Provence.

[11« Le Centre de Documentation et d’Information : son rôle, son fonctionnement », septembre 1974, connu sous le nom de rapport Tallon, du nom de son auteur.

[12Principes pour une réflexion sur les contenus de l’enseignement . Rapport Bourdieu-Gros, 8 mars 1989

[13« Et il faudrait enfin veiller à faire une place importante à tout un ensemble de techniques qui, quoiqu’elles soient tacitement exigées par tous les enseignements, font rarement l’objet d’une transmission méthodique… »

[14« Les séances d’enseignement regroupant des professeurs de deux (ou plusieurs) spécialités différentes réunis selon leurs affinités devraient avoir la même dignité que les cours (chaque heure d’enseignement de ce type comptant, pratiquement, pour une heure pour chacun des professeurs qui y participent). Elles s’adresseraient à des élèves qui seraient regroupés selon d’autres logiques que celles des filières actuelles, plutôt par niveau d’aptitude ou en fonction d’intérêts communs pour des thèmes particuliers. »

[15Extrait du descriptif du document sur Savoirscdi : la composition du groupe y est précisée : « Il a été rédigé par une équipe composée de membres de l’inspection générale (R. Denquin, F. Hostalier, J. Fabre, Y. Neuville, G. Pourchet, G. Pouzard), du CNDP (A. Chaptal), de l’inspection pédagogique régionale (M-A Decrop), de formateurs IUFM (F. Chapron, B. Morisio) et d’un enseignant documentaliste (R. Huet) ». Disponible sur le site de Savoirscdi : http://www.savoirscdi.cndp.fr/filea...

[16« Information et documentation en milieu scolaire », p. 6

[17« Information et documentation en milieu scolaire », p. 6

[18Au sens étymologique de « tissé ensemble, tissé avec »

[19La définition des savoirs enseignés à l’école

[20Ibid., p. 19. Le rapport de Pierre-André Périssol est disponible sur le site de l’assemblée nationale : http://www.assemblee-nationale.fr/1... .

[21Le rapport de Benoît Apparu est disponible sur le site de l’assemblée nationale : http://www.assemblee-nationale.fr/1...

[22L’expression est mienne pour souligner une fois de plus que nous sommes des « professeurs documentalistes »

[23« Le CDI, grâce au travail du documentaliste, avec les moyens informatiques mis à la disposition des élèves, permet un accès aisé à l’information. » (p. 138)

[24Richard Descoings, directeur de l’Institut d’études politiques (IEP) de Paris, a été chargé par le Président de la République d’une mission sur la réforme du lycée : ce rapport est disponible sur le site du ministère de l’éducation : [>http://media.education.gouv.fr/file/06_juin/35/9/rapportconsultationlycee_60359.pdf

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