2014
nov.
20

Vers un curriculum en information-documentation - Chapitre 5

L’information-documentation à l’école maternelle et élémentaire - Etat des lieux et perspectives

[2ème édition le 11/12/2015] Notons d’ores et déjà que les contenus de l’information-documentation, dans les programmes l’école primaire, regroupant l’école maternelle et l’école élémentaire, sont importants, avec une base de réflexion intéressante. Il s’agit avant tout de réfléchir aux éléments de découverte qui pourront servir d’assise au développement d’une initiation au collège, mais aussi de considérer ce qui peut déjà, en particulier au primaire, être du ressort d’une initiation, voire d’un approfondissement [1].

Ce travail s’appuie sur les programmes de 2008, dans l’attente d’une application effective des programmes présenté en novembre 2015 pour en faire l’analyse.

Nos sources pour documents de travail :
Pour l’école maternelle :
http://www.education.gouv.fr/cid33/la-presentation-des-programmes-a-l-ecole-maternelle.html
Pour l’école élémentaire :
http://cache.media.education.gouv.fr/file/1/58/7/programmes_ecole-primaire_203587.pdf

1- De la petite section au CE1 : une progression à consolider

En maternelle, dès la petite section, la première entrée se fait par l’objet avec les « supports du texte écrit », impliquant les compétences attendues suivantes : « reconnaître des supports d’écrits utilisés couramment en classe », « distinguer le livre des autres supports », « utiliser un livre correctement du point de vue matériel ». Il s’agit bien là d’une initiation aux notions de document et de support, mais aussi d’une découverte de la notion de structure du document. Le travail est continué en moyenne section, avec la compétence « reconnaître des supports d’écrits utilisés couramment en classe plus nombreux que l’année précédente ».

En grande section, une étape est franchie, avec la compétence « reconnaître les types d’écrit rencontrés dans la vie quotidienne (livres, affiches, journaux, revues, enseignes, plaques de rue, affichages électroniques, formulaires...) et avoir une première idée de leur fonction ». On continue ainsi l’initiation relative aux notions de document et de support, en abordant également celles d’information, de média, voire de message et de type d’information. Enfin, une initiation à la structure du document est proposée, avec les compétences « se repérer dans un livre (couverture, page, images, texte) » et « s’orienter dans l’espace de la page ».

On retrouve ici l’ensemble des notions mises en avant en priorité pour l’entrée au collège en Sixième, à l’exception du document numérique, pour lequel une certaine prudence est mise en avant, contre une utilisation individuelle précoce des outils numériques, en particulier par Serge Tisseron [2]. A cet égard, l’utilisation scolaire supposerait une légitimation officielle de leur utilisation précoce, ce qui suppose d’approfondir le questionnement professionnel avant de disposer d’outils numériques en maternelle, sans que la question soit pour autant nécessairement close.

On peut estimer que la notion de document numérique apparaît à l’école élémentaire, mais sans que cela soit très évident. On observe surtout l’absence de continuité au sujet des notions envisagées en maternelle, si ce n’est de manière informelle. Pour ce qui concerne l’information-documentation, on se tourne ainsi essentiellement du côté du numérique, et d’abord du côté de l’informatique, en estimant qu’en fin de CE1, l’élève doit être capable de « commencer à s’approprier un environnement numérique ». En français, les élèves « sont amenés à utiliser l’ordinateur : écriture au clavier, utilisation d’un dictionnaire électronique. » Par ailleurs, dans le cadre d’une instruction civique et morale, « ils sont sensibilisés aux risques liés à l’usage de l’internet ».

En regard des contenus observés en maternelle, on peut ainsi regretter l’absence d’une initiation à la notion de document numérique en ligne, constituant un approfondissement associé à la notion de structure du document. Si l’on suppose une initiation aux notions d’Internet et de Site web, l’entrée par les risques n’est sans doute pas la plus pertinente. Pour autant, dans le jeune âge dont nous parlons ici, les notions de publication et de médias sociaux seraient sans doute trop précoces, si bien qu’une entrée par la recherche d’information, sur des bases simples, serait peut-être la plus à même de développer des connaissances et compétences sur le Web et sa pratique.

2- En CE2 et CM1 : la fin d’une parenthèse

Nous retenons donc l’impression d’une coupure entre la grande section et le CE2, niveau dans lequel on retrouve alors quelques éléments intéressants. Toutefois, les notions de support et de structure du document ne sont sans doute pas assez prégnantes, si ce n’est dans le travail de construction des paragraphes initié en français dans le domaine de la lecture, ou peut-être de manière implicite dans ces compétences relatives à la recherche d’information, attendues en CM1 : « utiliser les outils usuels de la classe (manuels, affichages, etc.) pour rechercher une information, surmonter une difficulté », et « effectuer des recherches, avec l’aide de l’adulte, dans des ouvrages documentaires (livres ou produits multimédia) ».

C’est par ailleurs en CE2 que la notion d’espace informationnel est clairement mise en avant pour la première fois, avec la capacité de « se repérer dans une bibliothèque habituellement fréquentée pour choisir et emprunter un livre ».

Si la démarche d’investigation est mise en valeur pour les sciences expérimentales et la technologie, elle n’apparaît pas concernant la culture humaniste, en termes d’approche pédagogique. Pourtant, ce serait là une entrée intéressante pour favoriser les apprentissages relatifs à la recherche d’information, avec une découverte pertinente des notions de type d’information, de source, d’auteur, de moteur de recherche.

Alors que l’on décline encore jusqu’en CM2 la double entrée par les risques liés à l’usage de l’Internet et par l’objet informatique, on constate que la pratique numérique, en termes culturels et éducatifs, est peu développée. Dans ce contexte, il paraît difficile de favoriser le développement de pratiques raisonnées. Si la notion de droit de l’information est importante, en termes de protection de soi (dès le CE1) et de droit relatif à la propriété intellectuelle (à partir du CM1), une telle focalisation sur cette notion pose problème, en l’absence de liens avec d’autres notions clairement identifiées, et parfois complexes : médias sociaux, éthique de l’information ou discours. On a alors l’impression que l’entrée morale par les risques répond davantage à une pression éducative prédéterminée qu’à un objectif pédagogique. L’acception morale, par le droit, de pratiques responsables, pourrait être une finalité intéressante, parmi d’autres, dans la mesure où elle serait appuyée sur des connaissances et compétences plus exigeantes, au-delà de la construction d’une charte d’usage des TIC ou encore de visionnages de vidéos éducatives.

3- En CM2 : un bilan problématique avant le secondaire

Les connaissances et compétences relatives à la recherche d’information sont approfondies en CM2 afin que l’élève sache « effectuer, seul, des recherches dans des ouvrages documentaires (livres, produits multimédia) ». Là encore, on regrette l’absence d’inscription explicite de la notion de structure du document, entrée primordiale pour favoriser la recherche. De même pour l’espace informationnel, pour lequel il s’agit de « se repérer dans une bibliothèque, une médiathèque ».

La lecture des programmes de CM2, année charnière avant le collège, s’arrête là en ce qui concerne l’information-documentation, dans son acception globale, avant quelques considérations importantes sur le Brevet informatique et internet (B2i). Ce constat est un réel problème quand on voit l’engagement intéressant des programmes de maternelle, se prolongeant d’éléments épars qui, s’ils suivent une évolution logique, sont cependant bien trop éclatés pour produire un ensemble cohérent et satisfaisant. Nous avons insisté sur la notion de structure du document, mais il faut aussi constater que les notions suivantes sont absentes des programmes du primaire : information, support - pour lesquelles des approfondissements sont pourtant indispensables -, ou encore média, pour laquelle l’initiation systématique, incluant un questionnement pour ce qui concerne les médias sociaux (en ligne), paraît primordiale.

La lecture du B2i engage des observations annexes, ainsi qu’une remise en question de certaines priorités données à l’école élémentaire. Tout d’abord, au sujet de la notion d’exploitation de l’information, se pose la question de la pertinence des compétences demandées, au vu des capacités de l’enfant, mais également de l’absence de développement des notions appelées : cette exploitation apparaît ainsi comme approfondie, alors qu’elle ne pourrait, en l’état, que faire l’objet d’une simple découverte, avec un souci de lecture inhérent à la conception du B2i.

En effet, que ce soit pour la mise en forme (ou mise en page) ou pour la gestion, dans un même document, d’informations de différentes natures, la tâche s’avère ardue, sans approfondissement des notions de structure du document, d’information et de support. Il ne s’agit pas d’estimer que cet approfondissement est induit par la publication du B2i, cette seule intention ne suffit pas pour la mise en œuvre des pratiques pédagogiques : la légèreté des documents d’appui proposés sur Eduscol pour le B2i révèle clairement ces limites. De même, l’élève devrait savoir « apprécier la pertinence des sites ou documents proposés (moteur de recherche, annuaire, etc.) », et « confronter entre elles les informations trouvées, qu’elles proviennent de l’internet ou d’autres sources (publications « papier », livres en BCD, etc.) ». On sait la difficulté d’appropriation des notions de pertinence et d’évaluation de l’information, d’autant plus que les notions essentielles de moteur de recherche ou d’annuaire sont présentées ici comme moyens d’atteindre la compréhension de la pertinence, et non pas comme objets d’enseignement en soi. Dans ce cadre, les intentions du B2i sont sans doute à revoir, même si l’exigence pour l’élève à l’origine de la conception de cet outil d’évaluation peut être louable. Ce sujet mérite sans doute davantage de réflexion, et surtout une meilleure conception de la progression info-documentaire, avec une réelle difficulté à comprendre les sauts sémantiques ainsi opérés à travers les programmes de l’école maternelle et de l’école élémentaire.

Conclusion

Afin de conforter les éléments positifs de découverte proposés en maternelle, il paraît important de définir une progression cohérente jusqu’en fin d’école élémentaire. Il existe à l’heure actuelle des parenthèses en CP et CE1, et des écarts de complexité, entre CE2 et CM2, qu’il convient de corriger par un ensemble de prescriptions plus lisibles, sans qu’elles soient nécessairement plus contraignantes en termes de mise en œuvre.

Ainsi, les notions de document, de support, de structure du document, d’information, de média, de message, de type d’information, diversement abordées en maternelle, doivent être initiées ou approfondies dès le début de l’école élémentaire. Ces entrées permettent en effet de mieux développer ensuite des connaissances et compétences associées par exemple au document numérique en ligne et au droit de l’information. Cela permet par ailleurs une meilleure appropriation de la notion d’espace informationnel, qui ne se réduit pas à la bibliothèque mais concerne aussi l’Internet et le Web. Cette découverte peut vite être associée à des connaissances et compétences en recherche d’information. Les notions de pertinence et d’évaluation de l’information ne peuvent, pour ce qui concerne l’école élémentaire, faire l’objet que d’une découverte, tant elles sont complexes à maîtriser.

Enfin, dès le cours moyen de l’école primaire, les notions de médias sociaux (en ligne), d’éthique de l’information et de discours peuvent être intégrées comme objets d’enseignement, sous forme d’une découverte qui s’appuierait sur les notions qui continuent d’être développées depuis la maternelle. A cet égard, favoriser l’expression des élèves, à travers différents outils de publication, continue d’être un moyen pédagogique essentiel pour permettre le développement de ces notions, en lien avec des travaux d’initiation à la recherche et à la lecture comparative.

Notes

[1Le travail de Max Butlen est aussi éclairant à ce sujet, dans le même sens que notre propos : BUTLEN Max. La formation à l’information à l’école primaire. In L’éducation à la culture informationnelle. Villeurbanne : Presses de l’enssib, 2010, p. 254-257

[2En particulier dans L’enfant et les écrans : un avis de l’Académie des Sciences. 2013, 267 p. Disponible sur : http://www.academie-sciences.fr/activite/rapport/avis0113.pdf

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