2024
juin
10

Vers un CAPES Documentation sans info-documentation ?

Dans le contexte double de changements dans l’IGESR, inspection générale de l’éducation, des sports et de la recherche, et de réforme du programme du concours du CAPES, l’association des professeur·es documentalistes de l’Education nationale (A.P.D.E.N.) se fait le relais de craintes majeures pour le métier de professeur·e documentaliste et l’ambition d’une formation des élèves en information-documentation, participant de l’Éducation aux médias et à l’information.

Des contenus disciplinaires accessoires dans le concours de recrutement

Au regard du projet relatif à la nouvelle maquette des formations pour le CAPES Documentation, précisant le contenu des deux épreuves d’admissibilité et d’admission, il apparaît que les Sciences de l’information et de la communication (SIC) sont réduites au strict minimum. Alors que les professeur·es documentalistes ont parmi leurs missions de former l’ensemble des élèves en information-documentation, alors que ce travail pédagogique est leur premier axe de mission, on remarque que les attendus ne portent pas prioritairement sur la maitrise de sciences qui font la spécificité de leur enseignement en information-documentation ou de leur contribution à l’EMI.

Les SIC auxquelles l’information-documentation se réfère, auxquelles le CAPES est associé depuis 2004, sont ainsi succinctement mentionnées dans la première épreuve d’admissibilité. L’objectif de cette épreuve, selon la maquette, est "d’apprécier la culture générale" des candidats. Leurs connaissances scientifiques en SIC, dans ce qui constitue la base de leur enseignement, passent à un second plan, au même niveau que les sciences humaines et sociales (SHS). En comparaison, les projets des premières épreuves écrites des autres CAPES conservent une référence centrale à la connaissance disciplinaire.

La seconde épreuve d’admissibilité ne fait aucune référence au domaine d’enseignement puisqu’elle porte sur le système éducatif en général. Pire encore, aucune garantie n’est donnée dans les épreuves d’admission pour que les connaissances en SIC soient évaluées, ni la démarche pédagogique. Dans un projet général qui fait craindre une baisse de l’exigence de recrutement, une déqualification du professorat, la dimension disciplinaire est ainsi presque totalement évacuée de ce CAPES, le marginalisant à cet égard vis-à-vis des autres CAPES, reniant en quelque sorte la mission d’enseignement des professeur·es documentalistes.

Si dans les autres disciplines les formateur·ices et enseignant·es peuvent craindre une simplification, nous pressentons une disparition, celle des contenus disciplinaires en information-documentation. C’est de nouveau restreindre le métier de professeur·e documentaliste à celui seulement d’un animateur culturel et éducatif, sans considérer sa mission d’enseignement. C’est alors remettre en question l’ambition d’une formation de futur·es citoyen·nes, en faisant croire, par erreur selon l’A.P.D.E.N., que l’EMI transversale puisse remplacer l’exigence d’un enseignement spécialisé.

Un pilotage a-disciplinaire non spécialisé

Avant la réforme de l’inspection générale en 2019, la documentation et les professeur·es documentalistes étaient sous la houlette de l’inspection Etablissement Vie scolaire (EVS). Souvent l’A.P.D.E.N., de même que les organisations syndicales, a regretté l’absence d’une inspection spécifique, sans intérêt professionnel, ni organisationnel, à ce partage d’une inspection avec les CPE et personnels de direction. Toutefois, malgré des divergences entre l’association professionnelle et l’Inspection générale, des avancées ont été observées, justement lors du rattachement du CAPES aux SIC, depuis 2004, et une proximité avec les chercheurs et chercheuses en SIC, souvent membres de jury. D’autre part des échanges fréquents permettaient de discuter du métier entre terrain et hiérarchie.

En 2019, la mise en place de collèges au sein de l’Inspection générale, aurait été une opportunité de rattacher la Documentation, voire l’information-documentation, à un collège disciplinaire et pédagogique : l’institution a opéré un autre choix.

Ainsi, les professeur·es documentalistes ont d’abord été dépendant·es du collège « Établissement Territoires et Politiques Educatives » (ETPE), issu d’une logique Etablissement et Vie Scolaire, devenu depuis « Expertive administrative et éducative », avec un dossier Documentation sous la responsabilité d’Elisabeth Carrara. Depuis 2023, sans aucune communication sur le sujet, ils relèveraient a priori du collège « Bibliothèques, documentation, livre et lecture publique », sous la responsabilité de Philippe Marcerou, par ailleurs président du jury du Capes Documentation. Nous craignons, au regard de la dénomination de ce collège et de cette singularisation en comparaison aux autres enseignant·es, que la première mission des professeur·es documentalistes, à savoir l’enseignement de l’information-documentation et la participation, en tant qu’enseignant·es, à l’EMI, ne soit minorée.

Deux avancées pour trois reculs

Alors que des progrès statutaires et pédagogiques ont été observés entre 2014 et 2017, pour la reconnaissance du statut enseignant des professeur·es documentalistes et pour les prémices d’une ambition de formation en information-documentation pour les élèves, les modifications dans l’organisation de l’inspection générale, l’insistance pour une transversalité de l’EMI, qui ne peut seule répondre aux besoins des élèves, et enfin la réforme à venir du CAPES apparaissent comme d’importants reculs.

Rappelons-le, les savoirs apportés par l’information-documentation touchent à des enjeux majeurs : au développement de l’esprit critique des élèves, à l’égard de l’information, de leur environnement numérique, notamment. Il nous paraît néfaste, pour la société, de délaisser à ce point ces enjeux, de minorer cette mission de l’école. L’ambition pour le développement d’une culture de l’information et des médias ne peut se réduire à des coups de communication, mais suppose une exigence autre, celle d’un programme en information-documentation, celle d’un recrutement de professeur·es documentalistes qualifié·es pour assurer ces apprentissages, et enfin celle d’un pilotage stable, pérenne et spécialisé en la matière.

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