2023
nov.
23

Refonte du programme d’EMC : premiers échanges avec la DGESCO

Compte rendu de l’Audience du 9 novembre 2023 avec la DGESCO

Suite à l’annonce de refonte prochaine du programme d’EMC, qui comprendrait une part d’EMI [1], l’A.P.D.E.N. a obtenu une audience auprès des services de la DGESCO pour en savoir d’avantage et aborder la situation des professeur·e·s documentalistes.

À cette occasion, trois membres du Bureau National, Carole-Anne Bonnaud, Camille Brouzes et Anne Morel, ont été reçus rue de Grenelle par Messieurs Jean Hubac, chef du service de l’accompagnement des politiques éducatives, et Marc Pelletier, de la sous-direction de l’action éducative [2]

A la demande de nos interlocuteurs, nous explicitons en premier lieu les motifs de notre demande d’audience, à savoir, pour l’essentiel, un questionnement autour de la place laissée aux professeur·e·s documentalistes dans les projets de révisions actuellement envisagées des programmes d’EMC, sachant que notre profession s’est largement emparé de l’EMI. La question de la fusion entre EMC et EMI est source d’appréhension car elle pourrait nous exclure de facto de l’EMI, si cet enseignement devait être confié à un·e seul·e enseignant·e comme dans les conditions actuelles de l’EMC. Nous replaçons cet échange dans la suite d’une discussion tenue en février 2021 entre l’A.P.D.E.N. et la DGESCO au cours de laquelle notre collaboration future avait été notamment envisagée pour développer la réflexion autour de l’avenir de l’EMI [3].

Contexte de notre rencontre : augmentation de l’horaire d’EMC et programme en cours d’écriture

M. Hubac reprend alors le déroulé du travail mis en œuvre par le ministère sur la refonte de l’EMC, de la première lettre de saisine de juin 2023 [4] aux ajouts demandés plus récemment par le nouveau Ministre de l’Éducation Nationale, concernant notamment des compétences psycho-sociales pour le cycle 1. L’horaire hebdomadaire passera d’une demi-heure à une heure, uniquement au cycle 4, et le nouveau programme d’EMC intègrera de l’EMI mais également des éléments de l’EDD.

De son point de vue, la question relative aux ressources humaines et aux moyens financiers est pour l’heure centrale puisqu’il s’agit de "trouver" des heures pour répondre au gonflement horaire de cet enseignement.

Les programmes étant actuellement en cours de rédaction par le groupe constitué par le Conseil Supérieur des Programmes (CSP) [5], la DGESCO n’a défini pour l’instant qu’un ensemble de scénarios possibles, que les services envisagent à l’aune d’un besoin d’heures-postes conséquent créé par ce nouveau dispositif, et attend que le CSP fasse une proposition de programme pour arrêter un certain nombre d’éléments.

M. Hubac nous précise enfin le calendrier. Pour le moment, le CSP travaille toujours sur un projet de programme. La livraison initialement prévue pour l’automne 2023 du programme par le CSP sera sans doute repoussée étant donnée les précisions apportées par M. Gabriel Attal.

Une fois les travaux du CSP publiés, l’avis des enseignant·e·s et des associations professionnelles des enseignant·e·s sera sollicité. Les professeur·e·s documentalistes le seront donc à titre individuel et l’A.P.D.E.N. le sera également en tant qu’association, lors d’une réunion in vivo ou par une contribution écrite. Le projet sera ensuite retravaillé par la DGESCO. La publication finale devrait être prévue au début du printemps 2024. L’organisation des enseignements se fera donc dans ce second temps où le projet de programme sera étudié par la DGESCO.

M. Hubac tient également à nous rappeler qu’il reconnait la contribution actuelle des professeur·e·s documentalistes dans l’EMI, et à l’EMC, ces deux enseignements participant selon lui à la formation à l’esprit critique, et nous assure garder leur contribution à l’esprit pour le projet à venir. 

Il remarque cependant au cours de l’entretien que la prise en charge de l’EMI n’est pas forcément voulue et faisable pour une partie des professeur·e·s documentalistes en place, qui n’auraient pas su s’adapter selon lui à l’évolution du métier. Il constate enfin que les professeur·e·s documentalistes sont souvent seul·e·s dans leur établissement avec une charge de travail conséquente.

Qui pour prendre en charge l’enseignement d’EMC ? 

Nous faisons l’hypothèse que les professeur·e·s d’Histoire-Géographie se chargeront sûrement de l’EMC, dans la continuité de ce qui existe actuellement. Le risque serait alors que le rôle des professeur·e·s documentalistes dans l’EMI soit réduit à leur capacité de négociation avec leurs collègues, malgré le rôle qui leur est reconnu dans leur circulaire de mission et l’obligation qui leur est faite de former tous les élèves à l’information-documentation.

Nous rappelons alors une idée qui avait été émise il y a quelques années par le député Bruno Studer de l’alternance entre EMC et EMI [6]. Ce que nous trouvons intéressant dans cette piste est le dédoublement distinct des horaires, car celle-ci permet au professeur·e documentaliste de s’investir sans craindre la concurrence liée à la DHG et à la préservation des postes.

M Hubac affirme que l’objectif de cette refonte du programme d’EMC n’est pas de réserver l’enseignement de l’EMI à certain·e·s enseignant·e·s. Il note également que cette intégration dans l’EMC n’a pas vocation à épuiser tous les sujets de l’EMI. Il reconnait que l’EMC au collège et au lycée est souvent pris en charge par les professeur·e·s d’histoire-géographie et dans une moindre mesure par les professeur·e·s de philosophie et de SES. Cependant, le doublement d’heures au cycle 4 pourrait ne pas être réservé aux professeur·e·s d’histoire-géographie.

M. Hubac explique que l’augmentation de l’horaire pourrait être affectée à un·e seul·e enseignant·e, comme dans la situation actuelle, mais que ce scénario n’a pas sa préférence, car il n’assure pas à son sens l’effectivité de la mise en place de l’EMI. Il reste donc à voir ce qu’il est possible de faire pour que d’autres enseignant·e·s puissent prendre en charge ce nouvel horaire. 

S’il existe actuellement deux dispositifs envisageables, à savoir un enseignement entièrement affecté à une seule discipline ou son ouverture à différentes disciplines, la DGESCO est en attente de l’écriture du programme pour avancer son projet. Il est important de savoir dans quelle proportion l’EMI sera fondue dans l’EMC, à savoir notamment si les savoirs et compétences EMI seront clairement identifiées et isolées de celle de l’EMC ou non.

Par ailleurs, M. Hubac comprend bien le problème et les difficultés inhérentes à la situation des professeur·e·s documentalistes concernant leurs heures d’enseignement. Il assure que le texte règlementaire pourra être un appui pour les professeur·e·s documentalistes.

Nous soulignons alors que les termes de "contribuer à" présents dans notre circulaire sont malheureusement souvent compris par le reste de la communauté pédagogique comme "assister à". Ce glissement de sens nous met en position d’assistant·e et non de professeur·e en charge d’élèves.

Sur le terrain, nous avons par ailleurs des difficultés à trouver des temps de concertation satisfaisants pour collaborer dans de bonnes conditions avec nos collègues.

Nous avons besoin d’un texte qui aide les professeur·e·s documentalistes à justifier une prise en charge d’heures d’enseignement, avec ou sans collègue, seul·e ou en co-animation.

M. Hubac affirme que les professeur·e·s documentalistes pourront prendre en charge l’EMI seul·e·s comme en co-animation. Les professeur·e·s documentalistes ne sont pas dans la DHG. Cependant, selon lui, une heure prise pleinement en charge implique la fermeture du CDI. Se pose ainsi pour lui un problème de concurrence de mission.

Nous contestons l’idée d’un CDI "fermé". Si un CDI est réservé à un enseignement, il n’est pas fermé mais bien ouvert et remplit pleinement son rôle. Ce système existe pour tout type d’intervention pédagogique et, notamment, pour l’EMI en collège. Donc il ne s’agit pas d’un problème.

Nous questionnons l’application du volume horaire de l’EMC, hebdomadaire ou annualisée, puisque celle-ci a un impact sur sa mise en œuvre.

Pour la DGESCO c’est une réflexion en cours. Selon M. Hubac, l’annualisation existe de fait, mais il craint dans ce genre de situation une tendance à la pérennisation de projets figés peu à peu dans le temps, qui ne seraient plus réinterrogés et qui seraient donc susceptibles de perdre de leur pertinence avec le temps.

Nous soulignons que le choix du dispositif n’est pas sans conséquence sur les apprentissages. Parfois, une heure par quinzaine a moins de sens pédagogiquement qu’un regroupement de quelques heures. M. Hubac en convient.

L’hypothèse d’une concertation à l’échelle de l’établissement

La DGESCO envisagerait également éventuellement la mise en place de concertations au sein des équipes pédagogiques de chaque établissement en début d’année scolaire dont découlerait la répartition des différentes parties du programme entre enseignant·e·s.

Dans cette logique de concertation locale, nous remarquons qu’il existe un risque d’inégalité d’un établissement à l’autre et que certains choix pourraient s’appuyer davantage sur des contraintes de ressources humaines, de répartition de services plutôt que sur des arguments pédagogiques. La négociation locale ne serait pas toujours un progrès pour les professeur·e·s documentalistes.

M. Hubac affirme être persuadé du rôle essentiel de l’EMI aujourd’hui. Il s’agit d’un enseignement sur lequel nous devons tous progresser. Cela nécessite un pilotage global pour que tous les élèves soient touchés. Le travail du CLEMI au niveau académique est important rappelle-t-il, et, pour lui, il serait intéressant de voir comment l’association peut s’intégrer à ce travail. Cependant, il rappelle que la formation des élèves en la matière ne doit pas se limiter à des actions éducatives ponctuelles.

L’EMI : savoirs, compétences et démarches pédagogiques

Nous revenons sur le projet de programme pour le cycle 4. Actuellement le "programme" d’EMI comporte 27 compétences de tous niveaux, non hiérarchisées et critiquables par bien des aspects. En 2015, l’EMI avait donner lieu à beaucoup de rencontres et réflexions qui avaient abouti à une proposition de programme comportant des notions, colonne qui avait disparue lors de la publication finale. Or, un enseignement ne peut se limiter à des compétences, d’où l’importance de se rattacher à des notions, notions elles-même issues d’une didactisation des savoirs académiques, scientifiques.

Nous rattachons cette réflexion aux résultats de certains travaux scientifiques sûrement connus de la DGESCO, à ceux d’Anne Cordier entre autres. Ceux-ci soulignent l’écueil de réduire l’entrée à l’Éducation à l’Information aux risques, aux dangers. Cette approche compromet grandement l’appropriation des savoirs transférables aux pratiques des élèves.

M. Hubac défend l’intégration de l’EMI dans l’EMC par un équilibre pressenti entre Savoirs et Démarches (nous supposons que M. Hubac parle ici des actions du type démarche de projet). Cela permet ainsi à l’EMC de se tenir sur ses deux "jambes" et d’être plus cohérent.

Alors que nous revenons sur la spécificité de notre enseignement, de son importance et les savoirs spécifiques le composant, M. Hubac nous invite à contribuer à la concertation de la Mission Exigence des Savoirs.

M. Hubac tient à nous rassurer. Si l’on regarde les derniers programmes publiés par le CSP, les savoirs y tiennent une place importante. Il s’accorde avec nous sur le fait que souvent, l’esprit commun renvoie l’EMI à des recommandations de bonnes pratiques et qu’il faut sortir de cette approche. Lorsque nous soulignons qu’aucun spécialiste en SIC n’est visiblement présent dans le groupe œuvrant aux nouveaux programmes au CSP, alors que beaucoup de savoirs émanent de ce domaine scientifique, il nous invite à demander une audition auprès du CSP pour faire remonter ce manque.

Conclusion

Nous remercions M. Hubac et M. Pelletier pour la qualité des échanges. S’il est nécessaire d’attendre la première proposition de programme du CSP, nous notons que la discussion a tourné autour de propositions très concrètes, et la bonne connaissance qu’ont nos interlocuteurs de nos problématiques nous a permis d’aller droit au but. Il est par ailleurs très encourageant que de nouveaux échanges nous soient d’ores et déjà proposés début 2024, à l’issue de la publication du projet du CSP.

Enfin, nous notons que le ministère a enfin reconnu l’importance d’accorder aux contenus de l’EMI un horaire qui leur est spécifiquement consacré, revendication que nous portons depuis des années.

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