2016
oct.
5

Refonte de la circulaire de mission

Analyse de la première version du document de travail.

Le mercredi 28 septembre, le Cabinet de la Ministre, pour la deuxième fois, conviait les organisations syndicales à une réunion de réflexion sur une nouvelle circulaire de mission des professeurs documentalistes. A l’issue de cette rencontre, l’A.P.D.E.N. s’est procuré le premier projet proposé par le Ministère.

Nous nous garderons de communiquer ce projet, respectant ainsi la demande formulée par le Ministère. Nous tenons cependant à commenter ce texte qui, s’il est amené à évoluer de manière significative, ce qui est souhaitable, n’en reflète pas moins dans sa version initiale les perspectives que l’institution envisage pour le métier. Nous jugeons très inaboutie cette première proposition, pour les élèves comme pour la profession, et nous n’y proposerons par conséquent pas d’amendements, dans la mesure où la structure nous parait devoir être entièrement repensée.

Un cadre problématique : la politique documentaire

La centration de ce document de travail initial sur la politique documentaire laisse peu de place à une structuration de la mission selon plusieurs axes, quand bien même ceux-ci apparaissent de manière formelle dans le document. Dès lors que les volets formation (axe 1 de la circulaire), gestion-diffusion (axe 3) et culture (axe 4) sont convoqués explicitement comme participant de la formalisation et de la mise en œuvre de la politique documentaire (axe 2), celle-ci devient primordiale, englobant de fait l’ensemble de la mission du professeur documentaliste.

Ce cadre est préjudiciable pour deux raisons. D’abord, parce que la politique documentaire a vocation à être validée par le Conseil d’administration (CA), après discussion au sein du conseil pédagogique, soumettant le professeur documentaliste à de constantes négociations avec les autres enseignants et avec sa direction, dans un rapport de force nécessairement déséquilibré. C’est particulièrement problématique concernant le volet dédié à la "formation", dans la mesure où c’est alors la liberté pédagogique du professeur documentaliste et des autres enseignants qui est remise en cause. Ensuite, parce que c’est lui donner la responsabilité d’ajouter une couche programmatique locale là où des programmes nationaux existent déjà, au risque de provoquer des contradictions et des tensions entre enseignements, sans lui donner l’autorité pour y faire face. On voit mal, en effet, pourquoi le professeur documentaliste se verrait réellement considéré comme expert, quand ses qualifications pour enseigner l’éducation aux médias et à l’information (EMI) lui sont déjà si peu reconnues. De fait, sous cette forme, la politique documentaire met en œuvre les conditions de l’échec des professeurs documentalistes, tout en leur en imputant la responsabilité.

La faible imprégnation du concept de politique documentaire dans les établissement scolaires, malgré dix années de promotion active par l’institution, a pu être constatée dans une récente enquête [1]. Ce sont ainsi moins de 40% des professeurs documentalistes qui l’ont mise en place, entièrement ou partiellement, sans toujours en respecter le principe. Le contexte particulier du CDI au sein d’un établissement scolaire engage de fait une distinction significative avec les problématiques de bibliothèques publiques, dont ce concept est issu, ce pourquoi les professeurs documentalistes lui préfèrent bien souvent un projet documentaire relevant principalement de la gestion et de la promotion du fonds.

Malgré ces considérations et contre toute logique, le Ministère entend maintenir le principe de la politique documentaire, et va jusqu’à le positionner comme élément directeur de l’ensemble des axes de mission du professeur documentaliste. Or, les professeurs documentalistes savent bien, quelle que soit leur approche du métier, qu’un CDI et une bibliothèque sont des contextes résolument différents, sans que les pratiques qui en caractérisent le fonctionnement soient toujours transférables. C’est le cas de la politique documentaire, dont on ne peut pas prétendre ne serait-ce que l’adapter pour qu’elle devienne un document satisfaisant pour le professeur documentaliste dont la mission pédagogique se situe au-delà, particulièrement pour ce qui relève de la formation des élèves. Sur ce point, pour éviter l’aporie conceptuelle qui résulterait d’une centration sur la politique documentaire appliquée à un enseignement-apprentissage des connaissances et compétences info-documentaires, un travail important est à mener pour qualifier la culture de l’information et des médias, la culture de l’information, la maîtrise de l’information, la culture informationnelle, concepts dont l’emploi ne saurait être convoqué sans discernement dans la circulaire, texte dont l’emploi s’inscrit par ailleurs dans la durée.

Nous notons par ailleurs que les axes de mission, tels que définis dans le document de travail, incluent des éléments désignant de fait le professeur documentaliste comme référent numérique, bien que le terme n’apparaisse pas explicitement. Cela nous semble discutable pour deux raisons. D’une part, parce que cette fonction n’a pas de légitimité à être imposée, quand bien même le professeur documentaliste joue un rôle essentiel dans la réflexion relative aux ressources numériques. D’autre part, parce qu’on peut induire des formulations relevées que cette fonction viendrait s’intégrer aux axes de mission, et ne pourrait alors plus relever de l’indemnité de mission particulière (IMP) actuellement attribuée dans ce cadre.

Enfin, la question des animations et activités pédagogiques autour du livre se trouve ici également intégrée dans ladite politique documentaire. Or, si la présence de ces thèmes dans la circulaire est essentielle, l’entrée proposée pose question : ces activités autour de la lecture nous semblent relever davantage du point relatif à l’ouverture culturelle des élèves.

Un enseignement fragile et menacé

L’introduction du projet revient en premier lieu sur la responsabilité du CDI puis - l’ordre n’est pas anodin - sur le fait que les professeurs documentalistes « contribuent à la formation de tous les élèves en matière d’éducation aux médias et à l’information », reprenant là les termes du référentiel. Puis la définition aventureuse qui est faite du besoin pédagogique actuel, appelant « une pédagogie favorisant l’autonomie, l’initiative et le travail collaboratif des élèves, l’interdisciplinarité et l’usage des technologies de l’information et de la communication », illustre en quoi les professeurs documentalistes sont menacés dans leur mission d’enseignement. L’enseignement-apprentissage de contenus est ici délaissé au profit d’une approche par la démarche. Plutôt que de référer le texte à la seule éducation aux médias et à l’information, dans la mesure où un consensus s’est fait autour du référentiel de compétences professionnelles, l’emploi de "culture de l’information et des médias" se justifie davantage. C’est une approche plus complète et plus complexe qui, pour ne pas en rester aux seules compétences, engloberait par ailleurs les connaissances déclaratives, procédurales, stratégiques et métacognitives, ainsi que les attitudes. Elle permettrait en outre d’aller dans le sens d’une décontextualisation de la circulaire au regard de la réforme du collège.

Alors que la création du CAPES est citée comme prétexte à l’écriture de cette nouvelle circulaire, le choix du verbe "contribuer", 28 ans après la circulaire de 1986, apparaît de surcroit comme un recul historique, quand les professeurs documentalistes étaient jusqu’alors chargés d’ "assurer" cette formation [2]. En ce sens, le projet actuel ne respecte ni les qualifications, ni le statut des professeurs documentalistes, que l’on se réfère au CAPES, aux objectifs énoncés par les programmes ou aux éléments précisés dans le référentiel de compétences professionnelles, quand bien même ceux-ci sont perfectibles.

La partie relative à la formation ne laisse d’ailleurs pas d’inquiéter. Au-delà d’une « contribution » à l’EMI qui ne permet pas d’assurer cette formation, le texte précise que l’on "contribue" également aux enseignements et dispositifs... Il s’agit surtout finalement de faire en sorte que les autres enseignants intègrent l’EMI, avec ou sans notre collaboration, quand il ne nous revient plus que d’accompagner ou d’aider les élèves de manière informelle… Le discours proposé par l’IGEN-EVS Michel Reverchon-Billot à Bordeaux, publié en ligne le 20 septembre 2016, relaie cette perspective [3]. Il s’agit là de mettre en avant une "expertise" - terme ô combien abstrait - sans enseignement, une "force de proposition" sans mise en œuvre... Non seulement relevé de ses fonctions enseignantes, le professeur documentaliste se voit ainsi chargé de recenser les actions de ses collègues en EMI. Il a en outre pour tâche de mettre à disposition le lieu CDI pour les apprentissages, sans nécessairement en être partie prenante. On notera que la question de l’évaluation est occultée ; outre les conséquences sur le dossier de l’ISOE, cela soulève la question suivante : qui, alors, évaluera le champs "Médias, démarches de recherche et de traitement de l’information" (domaine 2 du socle commun) ?

On sera enfin surpris de voir apparaître dans une circulaire de mission la SPME, comme sous forme d’obligation à l’organiser…

Les autres axes de mission : un équilibre maintenu, avec des surprises

Dans la partie relative à la gestion et à la diffusion de l’information dans l’établissement, le professeur documentaliste est bien maintenu en tant que "responsable du CDI", mais sous l’autorité du chef d’établissement. Cela constitue un ajout d’importance par rapport à la circulaire de 1986, compte tenu de la difficulté que l’on rencontre déjà trop souvent à maîtriser l’utilisation du lieu, pour équilibrer l’accueil des élèves, la venue de groupes-classes et les temps de gestion du fonds. On ne peut à ce titre que regretter le débat stérile autour des 3C, concept éculé qui semble pourtant perdurer, et qui a empêché toute réflexion et toute évolution sereine du lieu et de son personnel.

Enfin, la contribution à l’ouverture culturelle de l’établissement, plutôt qu’à celle des élèves, n’appelle pas beaucoup de commentaires si ce n’est que ce chapitre reprend largement la circulaire de 1986. On pourrait envisager là le développement de la mission relative à la lecture, sous forme d’une contribution, mais l’obligation faite de "participer aux parcours", d’ "entretenir des relations avec le réseau Canopé" ou avec la "Réserve citoyenne", par exemple, pose question. La mission peut être ici, plus simplement, d’entretenir des relations avec les partenaires culturels extérieurs.

Deux éléments ont été supprimés par rapport à la circulaire de 1986, dans ces deux axes, ce qui n’est pas sans nous réjouir.

Des perspectives à porter haut et fort

Plutôt que de renforcer la mission enseignante du professeur documentaliste, le premier projet de circulaire réduit le rôle de ce professionnel à celui d’un recenseur, dont l’action pédagogique se voit marginalisée dans son essence enseignante, pour ne plus concerner qu’un vague "accompagnement" des élèves et des enseignants. La marge qui lui est laissée pour intervenir seul, insignifiante, est une obole amère, consentie en respect du référentiel de compétences de 2013 ; elle est de plus tellement contingente au contexte local, lui-même soumis aux blocages que l’on sait dans les textes réglementaires (entre seuil de 26 heures et question délicate du décompte), que l’on peut sans excès de pessimisme considérer l’effacement pur et simple de la mission enseignante pour la plupart des professeurs documentalistes. La liberté de manœuvre est par ailleurs clairement remise en question, non seulement au niveau pédagogique, mais aussi et surtout dans l’ensemble des missions, sous l’autorité accrue du chef d’établissement et du conseil d’administration. Le choix de contraindre les personnels à des carcans managériaux dans l’ensemble de leurs axes de mission est discutable. Celui d’envisager de leur accorder une liberté dans l’exercice des axes gestionnaires et d’ouverture, tout en consolidant a contrario la mission enseignante par des cadres plus cohérents, y aurait été préférable.

Il n’en reste pas moins que ce texte n’est qu’un projet, amené à évoluer rapidement, avec deux autres réunions prévues en novembre et en janvier. Nous encourageons les collègues à faire entendre leur voix auprès des syndicats, la vigilance s’imposant sur les choix politiques opérés. Deux d’entre eux, notamment, soutiennent les perspectives ministérielles à quelques corrections près. Ce positionnement n’est à notre sens pas acceptable, pour les élèves d’une part, premiers concernés par cette réforme, pour les professeurs documentalistes d’autre part, qui voient l’essentiel de leur métier se dégrader et n’être plus que l’ombre de ce pourquoi nous sommes certifiés.

Notes

[1Professeur documentaliste, CDI et ouverture culturelle. Résultats de l’enquête. In Apden.org, 2015. Disponible sur : http://apden.org/Professeur-documentaliste-CDI-et.html

[2Circulaire du 13 mars 1986 disponible sur : http://apden.org/Circulaire-du-13-03-1986.html

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