Quel service d’enseignement pour les professeurs documentalistes ?
Enquête FADBEN : résultats et analyse.
La FADBEN a mené, entre le 8 juin et le 4 juillet 2014, une consultation auprès de la profession, au sujet du projet de décret voté au Comité technique ministériel, instance consultative, le 27 mars 2014 avec les syndicats, qui engageait la révision de notre statut, en particulier sur la reconnaissance des heures d’enseignement. Le décret a depuis été officiellement promulgué, le 20 août 2014, par le Premier ministre. Il sera applicable à la rentrée de septembre 2015. Pour autant, la formulation de ces dispositions continue de provoquer des réactions extrêmement contrastées, voire contradictoires, de la part des différents syndicats comme de la part des collègues sur les listes de diffusion, qui mettent nettement en évidence le manque de clarté de ce texte, à l’instar des précédents textes encadrant la profession. Les clarifications et arbitrages indispensables devront encore être apportés à l’occasion de la rédaction des décrets d’application, discussions au cours desquelles les apports de la présente consultation pourront trouver toute leur place.
La FADBEN en publie ici la synthèse, et l’accompagne de la version intégrale des résultats et de l’analyse de cette enquête, disponible au format PDF au bas de cet article.
SYNTHESE
**Leçons de l’enquête et propositions
La récupération du temps de préparation et d’évaluation des séances pédagogiques est un souhait partagé par beaucoup de collègues (65,9 %). Elle n’en pose pas moins des questions délicates et peut devenir un véritable casse-tête. La raison principale de cette difficulté tient à l’absence de réflexion sur l’évolution de la profession, de la part de l’institution, dans un cadre formel. Les textes qui régissent la profession en termes statutaires ont aujourd’hui plus de 30 ans. Pourtant, la rédaction retenue dans le décret d’août 2014 n’apporte aucun changement véritable, si ce n’est quelques espoirs facilement mis à mal par la méfiance exprimée à l’égard d’une institution qui semble mal connaître la profession et ses enjeux pédagogiques.
Pourquoi « récupérer » ces heures, en compensation du temps de préparation et d’évaluation, quand on utilise déjà parfois pour cela l’enveloppe des six heures dévolues aux relations avec l’extérieur de l’établissement ? La nature du besoin de ces heures peut avoir, du moins en partie, évolué. Les relations avec les libraires, avec les bibliothécaires, avec les partenaires culturels, peut désormais être différente et se faire à distance, en grande partie par téléphone, par mail, de manière parfois totalement virtuelle, qu’on le regrette ou non. Pourquoi, dès lors, récupérer ces heures quand on estime parfois pouvoir préparer et évaluer les séances sur le reste du service, en présence d’élèves à surveiller au CDI ?
Le simple fait de poser ces questions n’est pas un danger, ni une provocation, mais un moyen de trouver des réponses. Il n’est pas tant question de la diversité de la profession, que des différences ponctuelles qui ne supposent en rien l’impossibilité de trouver de nouvelles voies de cadrage. La création du CAPES en fut un élément, largement revendiqué, qui n’a pas été suivi des textes adéquats, installant sur le long terme un délaissement par l’institution des enjeux pédagogiques de la documentation, puis de l’information-documentation. Certes on peut se satisfaire d’un statut supérieur à la réalité du métier exercé, certes on peut s’estimer être aide-documentaliste ou bibliothécaire scolaire adjoint et bénéficier d’un statut de fonctionnaire de catégorie A, d’autant plus quand la rémunération est gelée, et quand une inégalité s’affiche déjà sur les bulletins de paie vis-à-vis des enseignants des disciplines instituées. Pour autant, plutôt que d’une riche diversité, fantasmée, relativement marginale, c’est bien plutôt une inégalité subie dans l’activité professionnelle que l’on observe aujourd’hui. Elle est le symptôme d’un degré de reconnaissance professionnelle extrêmement variable, qui aboutit, pour des personnels titulaires d’un CAPES, à une capacité très inégale à proposer des séances pédagogiques et à développer des connaissances et compétences en information-documentation chez les élèves, alors même qu’il s’agit de sa mission première.
A moyens constants , sans rien perdre de l’originalité et de la richesse de la profession, des éléments de réflexion sont envisageables. Il s’agit d’abord d’admettre que les six heures définies hors EPLE peuvent ne pas servir uniquement aux relations extérieures, reprenant ainsi la formulation proposée par la FADBEN avant les discussions entre le Ministère de l’Éducation nationale et les syndicats représentatifs au sujet du décret : « Six heures sont dévolues au service des professeurs certifiés de documentation hors établissement. » Cette formulation paraît d’autant plus pertinente après cette enquête, quand il ne s’agirait pas tout simplement de s’en tenir au service de 30 heures, sans précisions au sujet d’autres heures. Il ne peut être question de justifier de l’utilisation de ces heures, qui constituent un besoin théorique et pratique qui ne fait pas discussion, d’autant plus qu’un besoin lié aux relations extérieures peut émerger sur le temps de service en EPLE, sans que cela doive poser de problème d’absence en ordre de mission et sans avoir à rattraper les heures concernées. La reconsidération de l’utilisation de ces heures peut être un élément de réponse.
L’éventualité doit pouvoir être posée pour le professeur documentaliste d’assurer un minimum de six heures hebdomadaires de séances pédagogiques, selon la quotité horaire moyenne exprimée dans cette enquête, avec ou sans collaboration, en considérant effectivement qu’une partie de la préparation et de l’évaluation se fait sur le reste du service. Il ne serait pourtant pas si absurde de considérer qu’un professeur documentaliste puisse, de droit, réduire d’autant son temps maximal de service. Mais cela ne doit pas non plus constituer une limite et l’on doit pouvoir envisager un nombre de séances hebdomadaires plus important, jusqu’à 10 heures, au maximum, par exemple. Précisons que dans l’enseignement agricole, avec un programme institué en information-documentation, toutes les heures de séances pédagogiques sont comptabilisées pour deux heures dans le service.
L’idée d’une rémunération complémentaire de ces heures est intéressante. Cependant, elle ne peut être mise en œuvre à moyens constants ; de plus, elle ne paraît pas pouvoir éviter l’écueil d’une inégalité de traitement, si elle dépend d’un nombre variable d’heures d’enseignement à déclarer auprès du chef d’établissement.
Notons par ailleurs qu’il est étrange que l’annualisation du service des professeurs documentalistes puisse être considérée parfois comme un risque pour les autres enseignants. Ce qui est une posture d’autant plus singulière quand la nécessité d’un temps affecté à la préparation et à l’évaluation de leurs séances pédagogiques par les professeurs documentalistes n’est pas retenue dans un décret statutaire commun à l’ensemble des enseignants. On pourrait tout de même bien là envisager le principe d’une dérogation comme acceptable, dans la mesure où l’on veut trouver les moyens de faire évoluer positivement une profession...
Bien sûr, cette définition d’un service d’enseignement ne va pas sans la définition préalable, à moyens constants, d’un curriculum en information-documentation, pour les élèves, comme la FADBEN en reste persuadée. L’association professionnelle veut être un moteur de cette définition, en prenant appui sur tous les travaux engagés et toutes les pratiques de terrain construites progressivement depuis plus de 20 ans. Au regard de la spécificité des savoirs de l’information-documentation, des connaissances et compétences à transmettre aux élèves selon des modalités pédagogiques variées, dont la mise en activité des élèves sur des projets transdisciplinaires constitue une option essentielle, il convient de préciser un cadre systématique et progressif, permettant une cohérence nationale qui n’existe pas aujourd’hui et manque réellement.
Notons par ailleurs que ces propositions dégagent des obligations de participer aux conseils de classe, d’autant que cet engagement relève d’un investissement horaire très important qui supposerait alors, sur les bases du volontariat mais aussi sur proposition du chef d’établissement (il faut des heures à disposition), une rémunération. Pour autant, l’égalité devant le traitement associé à l’ISOE, si elle n’est pas en lien direct avec la participation aux conseils de classe, pourrait être un moyen d’inciter à participer à certaines instances de l’établissement. En revanche, la participation à l’évaluation, sur des supports communs, que ce soit le bulletin ou le socle commun (la possibilité théorique pour tous d’y participer étant à défendre), paraît incontournable et légitime. Elle constitue une étape incontournable de la pédagogie. Elle est la marque de l’enseignant, pour les élèves comme pour ses pairs. Ce qui n’empêche pas, bien au contraire, une réflexion sur des moyens nouveaux d’évaluer les connaissances et compétences des élèves, au-delà de notes et de cases à cocher.
Ces premiers éléments confirment la nécessité d’une inspection spécifique, comme elle existe dans l’enseignement agricole. Il en va de la reconnaissance de la dimension pédagogique de la profession. Il s’agit de demander en cela une « inspection » légitime, tant on sait combien l’inspection Établissement Vie scolaire, dont les membres n’ont que rarement exercé la profession, peut être étrangère à ses enjeux théoriques et pratiques, et ne dispose par ailleurs d’aucun poids réel (argument parfois entendu) sur la considération des chefs d’établissement à notre égard. L’agrégation découle de l’ensemble, sans pouvoir véritablement en être un préalable, tant il y aurait une forme d’absurdité à défendre l’idée d’une agrégation sans un développement des missions pédagogiques des professeurs documentalistes.
Toujours à moyens (presque) constants, l’ouverture du CDI suppose des AED formés, deux tiers du panel de l’enquête 2013 se montrant favorable à cette option. Mais cette solution n’est malheureusement pas si pertinente, tant ce personnel est précaire et instable, son encadrement nécessitant un temps de travail très lourd pour le professeur documentaliste, qui n’apporte pas de gain horaire équivalent par la suite.
A moyens non constants , dans un ordre de priorité budgétaire différent qui donnerait davantage de considération au développement de la culture informationnelle des élèves, on ne peut laisser de côté la revendication essentielle d’un professeur certifié de documentation recruté par établissement, augmenté d’un par tranche de 400 élèves au-delà de la première tranche. Ce qui permettrait d’envisager des formations d’environ 6 à 14 heures pour chaque élève, selon que l’on intervienne en demi-classes ou en classes entières, pour un service minimal hebdomadaire d’enseignement de 6 heures. Une autre option, substitutive et/ou complémentaire, consiste en un recrutement d’aide-documentaliste, ou d’assistant documentaliste, permettant, selon des calculs à cerner, l’ouverture du CDI quand le professeur documentaliste en est absent pour des raisons relevant de ses missions. Restons donc ambitieux, en cette période budgétaire contrainte, en gardant à l’esprit que des moyens constants permettent aussi la mise en œuvre de politiques favorables au développement d’un curriculum en information-documentation et a l’évolution du statut des professeurs documentalistes.
Le décret n’est pas satisfaisant. La FADBEN y a relevé des éléments potentiellement positifs, conditionnés à la prise en compte de certaines modifications, lesquelles n’ont pas été retenues lors du Comité technique ministériel du 27 mars 2014 ou lors des discussions précédentes. De même, toutes les demandes adressées au Ministère pour la constitution d’un groupe de travail sur la profession, regroupant les associations professionnelles et les syndicats représentatifs, n’ont jamais reçu de suites, alors même qu’un travail comparable a été effectué pour d’autres corps, en particulier celui des CPE. Plus de 90 % des professeurs documentalistes ayant répondu à la présente enquête souhaitent une évolution statutaire, sans trouver satisfaction dans le texte du décret, ce qui ne peut faire l’impasse sur une réflexion nationale après la publication de ce décret.