2023
avr.
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Parcours professionnel, carrière et rémunération : quel bilan pour les professeurs documentalistes ?

Audience avec l’Inspection générale le 20 mars 2023 sur le PPCR et le RDVC

Habib Lahbairi et Florian Reynaud, pour le Bureau national de l’A.P.D.E.N., ont eu un échange au sujet du protocole Parcours professionnel, carrière et rémunération (PPCR) et du rendez-vous de carrière (RDVC) avec l’Inspection générale de l’Éducation nationale (IG). Cet entretien, en visioconférence, prenait forme dans le contexte d’une mission de l’IG sur ce dossier, à la suite de la réforme de 2016. La mission est composée de 5 inspecteurs et inspectrice : Fabienne Keroulas, Pascal Misery, Dominique Catoir, Bruno Jeauffroy et Xavier Sorbe.

Selon l’introduction faite par Fabienne Keroulas, l’objectif de l’IG est de poser un bilan le plus précis possible de ces dispositifs. Cette audience avec les représentants de l’A.P.D.E.N. se présente à la suite d’un nombre important d’entretiens, avec différent.e.s acteur.rice.s concerné.e.s, avec les représentant.e.s des personnels, complétés par des visites de terrain dans les académies de La Réunion, Lille, Montpellier, Reims, Rennes, Versailles.

Afin de préparer cette rencontre et pour avoir des retours représentatifs, nous avons pendant deux semaines consulté les Bureaux académiques de l’A.P.D.E.N., mené des échanges en réunion de bassin, à l’aide d’une trame proposée par l’inspection et reprise dans ce compte rendu.

Nous avons ainsi pu présenter nos observations, précisant régulièrement notre propos à la demande de l’inspection générale, avec une attention particulière pour ce qui relevait de spécificités des professeur.e.s documentalistes. Ces observations, reprises ci-dessous, peuvent être de différents ordres, plus ou moins précises.

1. Quel accompagnement dans la mise en œuvre du RDVC :

  • Si les documents d’accompagnement permettent de préparer l’entretien avec l’inspecteur.rice au préalable, la communication est différente d’un.e inspecteur.rice à l’autre sur les modalités d’envoi des documents, sur les délais.
  • Il n’y a pas de documents, a priori, pour préparer l’entretien avec le.la chef.fe d’établissement, ce qui peut poser problème en amont.
  • Pour les autres enseignant.e.s, il est bien précisé dans les textes du Ministère : « vous bénéficiez d’une inspection en classe ». Pour les professeur.e.s documentalistes, il est indiqué : « vous bénéficiez d’une inspection en situation professionnelle ».
    Souvent il est demandé une inspection en classe, ce qui est une bonne chose selon nous. Toutefois, les professeur.e.s documentalistes peuvent avoir des difficultés à mettre en place de telles séances : peu d’heures d’enseignement dédiées à l’information-documentation ou à l’EMI dans l’emploi du temps, pas de projet collaboratif lors de la période d’inspection…
    Ainsi, il ne s’agit pas pour nous de demander que l’inspection se fasse hors séance, mais d’insister sur la nécessité de pouvoir assurer plus aisément des séances pédagogiques (et pas seulement pour le RDVC).

2. Regard porté sur le dispositif d’évaluation PPCR :

  • Le délai entre l’évaluation en tant que telle (RDVC) et la communication aux personnels, jusqu’à 6 mois, voire plus, est problématique. Il ne permet pas un retour correct après l’évaluation, sans mémoire parfois vis-à-vis de ce qui pourrait poser problème dans le compte rendu et dans l’évaluation des items.
  • Concernant les items d’évaluation, un travail avait été effectué par le Bureau national de l’A.P.D.E.N. en 2017, pendant les concertations avec les organisations syndicales représentatives. L’association regrettait que seul.e.s les professeur.e.s documentalistes soient évalué.e.s sur une politique documentaire pourtant censée être définie de manière collective (5e item). Par ailleurs l’association regrettait que nous ne soyons pas noté.e.s sur nos compétences à l’évaluation des élèves (compétence P5 non présente parmi les items), et que « les connaissances et les compétences » soient préférées comme expression plutôt que « les savoirs disciplinaires et leur didactique » tels que présents en compétence P1. La mission était très intéressée par ce travail, que nous lui avons transmis à la suite de la réunion [1].
  • Nous regrettons par ailleurs un système de quotas qui réduit l’intérêt du RDVC, « couru d’avance », avec le sentiment qu’il n’y a pas d’avancement possible. Il n’y a pas de lisibilité sur ces quotas, avec un sentiment d’opacité renforcé parfois dans les propos des inspecteur.rice.s et chef.fe.s d’établissement.
    Nous soulignons l’écart possible entre le ressenti positif après un RDCV et une évaluation qui peut paraître en-deçà. L’existence des quotas peut expliquer ce bilan à la baisse et vient alimenter le sentiment d’une concurrence injustifiée entre les collègues.
  • On note des difficultés à évoluer dans la carrière comme les enseignant.e.s des autres disciplines, en particulier dans les dernières années avec des obstacles importants pour accéder à la classe exceptionnelle et à l’échelon spécial de celle-ci. Ce système pénalise l’évolution de carrière, indépendamment de l’investissement de chacun. L’appréciation et l’avis des d’inspecteur.rice.s, demandés pour le passage en classe exceptionnelle, se basent essentiellement sur l’avis du.de la chef.fe d’établissement.
    Le caractère irréversible de l’évaluation au 9e échelon peut gêner le rythme d’évolution de carrière des collègues et empêcher l’accès à la Hors Classe. Elle peut être vécue comme un échec, avec l’impression qu’aucun recours n’est possible, aucune deuxième chance.
    Il apparaît toutefois que les professeur.e.s documentalistes sont plus régulièrement et plus assurément inspecté.e.s qu’avec l’ancien système.
  • La fréquence des inspections n’est pas aisément compréhensible (aux 6e, 8e et 9e échelons, avec des évolutions de carrière trop rares, des fréquences d’échanges mal comprises). Les principes même de l’avancement, de nos possibilités, en sont par conséquent moins clairs.

3. Acteur.rice.s impliqué.e.s dans le processus :

  • Sur l’évaluation par l’inspection, nous sommes face à une absence problématique d’inspection spécifique, avec une différence importante d’un inspecteur à l’autre, selon son parcours, selon son ancienneté. C’est une forme de rupture d’égalité devant le PPCR, à ce titre, vis-à-vis des autres enseignant.e.s, avec des échanges qui peuvent manquer d’objectivité avec des professionnel.le.s qui souvent n’ont pas exercé notre profession.
  • L’évaluation par les chef.fes d’établissement peut souffrir aussi d’une grande disparité liée à leur appréhension parfois très variable du métier de professeur documentaliste et à leur appréciation des priorités de nos différents axes de mission. Par ailleurs, nous constatons un certain manque de formation sur ce point, constat que nous faisons depuis de nombreuses années.
    La durée parfois réduite, due aux dates de prises de poste, durant laquelle professeur.e documentaliste et chef.fe d’établissement se sont côtoyé.e.s, ne permet pas non plus une évaluation satisfaisante et peut être préjudiciable au collègue. La situation peut être pire pour les collègues TZR, évalué.e.s par le.la chef.fe d’établissement de rattachement administratif, l’arrangement pour une évaluation par le.la chef.fe d’établissement d’exercice n’étant pas toujours possible.
    Dans le cas d’un.e collègue exerçant dans un CDI Collège-Lycée, ou CDI Lycée-CPGE (ou Cité scolaire), le.la professeur.e documentaliste devrait soit être inspecté.e en présence de tou.te.s les responsables de la Direction ou par un personnel de son choix : Chef d’établissement (cité scolaire), Proviseur (Lycée) ou Principal (Collège).
    Dans cette forme d’évaluation les collègues peuvent ressentir une pression du.de la chef.fe d’établissement, tandis que la réforme a permis a contrario, semble-t-il, d’améliorer les échanges avec l’inspection.
  • Nous demandons s’il est prévu une suppression du rôle des CAPA pour les contentieux, comme c’est un sujet qui apparaissait dans le document préparatoire à l’échange. On nous répond qu’il n’est rien prévu de tel pour l’heure. C’est en tout cas, ajoutons-nous, un dispositif nécessaire, intermédiaire entre recours gracieux et recours contentieux devant un Tribunal administratif (TA).
  • Les chargé.e.s de mission peuvent être utiles, notamment pour nous, dans le cadre de visites-conseils auprès des collègues (et pas seulement à la demande de l’inspection, mais éventuellement à la demande des collègues eux.elles-mêmes). Cela permet des échanges avec des collègues qui exercent le métier, avant un éventuel RDCV avec l’inspection.

4. Contribution à la progression de carrière et au développement professionnel :

  • Comme précisé plus haut, dans ce contexte problématique la motivation dans le PPCR et pour le RDVC peut être faible. Le processus ne répond pas à l’urgence de la revalorisation salariale attendue.
    Chaque année les professeur.e.s documentalistes sont invité.e.s à faire un dossier pour l’agrégation, alors qu’il.elle.s n’y ont pas le droit.
    Il est demandé une forme de projet de carrière, lors du RDCV, alors qu’on ne voit pas de perspectives possibles, avec en outre des plans de formation continue qui, selon les académies, peuvent être très réduits.
    Cette question de la formation continue intéresse beaucoup la mission, qui nous demande de préciser davantage nos attentes. Nous insistons sur les disparités en matière de contenus proposés dans les différentes académies. Nous rappelons l’importance des listes de diffusion par courriels (parfois inexistante) ou la nécessité de réunion de bassin dont la coordination se doit d’être correctement rémunérée. De plus, nous revenons sur l’historique de ce dernier dispositif dans certaines académies, notamment de la suppression des rémunérations, voire de sa disparition pure et simple. Ces situations sont regrettables : les réunions de bassins sont des moyens de formation intéressants en complément des formations à inscription individuelle dans les plans académiques de formation ou équivalents.
  • Les professeur.e.s documentalistes, à la différence des autres professions éducatives, ne bénéficient pas de la prime informatique, sont moins bien payé.e.s pour les missions spécifiques (notamment pour le taux d’heures supplémentaires payées en vacations fixes).
    On regrette une inégalité de traitement à statut égal (indemnité, primes, heures supplémentaires, absence d’agrégation…), avec des freins financiers et un déroulé de carrière qui peut paraître tronqué.
  • Une question reste en suspens, quelle place pour les professeur.e.s documentalistes dans le futur hypothétique Pacte ? Aucune réponse ne nous est apportée, la mission présente de l’IG ne l’aborde pas.
    Toutefois, la mission s’intéresse, à la suite de ces différentes observations, à la particularité des professeur.e.s documentalistes pour ce qui concerne les modalités d’accès à la profession, avec l’idée que c’est différent par rapport aux autres enseignant.e.s. Nous répondons que, pour l’essentiel des professeur.e.s documentalistes, l’accès au métier se fait via l’obtention d’un CAPES, avec toutefois davantage de contractuel.le.s que dans les autres disciplines. Nous avons envoyé à la suite de cette réunion, à leur demande, les chiffres dont on dispose de la DEPP (direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance) [2].

5. Quelle place respective pour l’évaluation des établissements et écoles, et des enseignant.e.s

  • Nous ne sommes pas favorables à ce qu’une hypothétique évaluation des établissements, sur laquelle nous sommes particulièrement prudent.e .s, voire circonspect.e.s, soit intégrée dans une évaluation personnelle des enseignant.e.s. C’est d’autant plus un problème quand le ou la collègue n’est pas depuis longtemps dans l’établissement, ou quand il ou elle peut subir une politique d’établissement parfois incohérente, sans cohésion d’équipe, ou encore au seul bon vouloir du.de la chef.fe d’établissement.
    On nous répond sur ce point que ce n’est pas prévu ainsi, mais le sujet est posé comme il s’agit bien aussi d’un dispositif d’évaluation.

Si nous ne pouvons présager des suites qui seront données à ces échanges, au sein de cette mission sur le PPCR, nous pouvons toutefois saluer l’écoute et l’intérêt de nos interlocuteur.rice.s pendant une heure et demie d’échanges et de demandes de précisions sur nos spécificités.

Notes

[2Données statistiques disponibles sur : http://professionprofdoc.apden.org/788-2-2/donnees-statistiques/

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