2015
oct.
10

Focus sur un nouveau prototype de matrice curriculaire dynamique et ses mises à l’épreuve

Table ronde. Muriel Frish

Cette intervention fait partie de la table ronde III.1. intitulée "Enseigner-apprendre l’information-documentation : regard sur la formation professionnelle". Elle s’articule avec celle de Jacques KERNEIS.

Table ronde animée par Yolande Maury

Comme nous l’avons développé au cours de notre conférence, de notre point de vue la matrice curriculaire info-documentaire est multi-référencée et doit se construire en considérant le développement, les expériences des apprenants, les pratiques professionnelles, et, un ensemble d’éléments en interaction. Concernant la recherche et les méthodologies de recherche, il est donc important de tenir compte de l’analyse « du Faire » (Reuter éd., 2013) et des apprentissages de l’activité. L’Information-Documentation en tant que discipline de recherche tout au long de la vie, est un recours important pour bâtir une posture de questionnement, d’ouverture, de réflexion et de transformation par des formes de réflexivité en tant que « savoir analyser » ses pratiques, ses activités.

Nos travaux appréhendent des constructions et des mouvements de savoirs avec des catégories d’acteurs différentes et une mobilisation de plusieurs champs et domaines : sciences de l’éducation et didactiques, sciences de l’information et de la communication et Métiers de l’humain (c’est-à-dire avec la clinique de l’activité, l’ergonomie et la didactique professionnelle).

L’idée de matrice curriculaire depuis les premiers travaux de Joël Lebeaume (1999) envisage le curriculum dans son intégralité et l’inscrit dans une perspective dynamique.

Si comme le souligne Françoise Chapron (2015), « il est vrai que l’instabilité et les mutations constantes des dispositifs, outils, usages des environnements numériques rendent quasi impossible une stabilisation des savoirs et compétences qui avaient été progressivement dégagés à la fin du siècle dernier » (p.18), on peut se demander si le souhait de disposer d’un outil de référence avec des compétences « de base » n’est pas un peu paradoxal. Nous redoutons, le piège du réservoir de « bonnes pratiques » et le « modèle » du kit des « contenus de base » à dispenser. Il nous faut être vigilants pour que chacun fasse aussi l’effort d’une élaboration didactique. En ce sens il nous semble primordial de poursuivre le travail autour de la question du rapport au savoir de chacun.

Ne faut-il pas alors, dès la formation, préparer les étudiants et les stagiaires à faire preuve d’ouverture, de capacité à construire des dispositifs constructivistes en information-documentation ou avec l’information-documentation et à développer une forme « d’efficacité-réflexive » (Frisch, 2015) ?

Parmi les éléments en interaction nous tenons compte aussi de la notion d’événement et de celle « d’apprenant prescripteur » (travaillée au sein d’IDEKI) qui nous ramènent vers la compétence nécessaire d’adaptation à une situation qui n’était pas forcément anticipée. La compétence professionnelle consiste ainsi à la fois à anticiper, à gérer l’instant présent, l’imprévu et à analyser, en métacognition, le réel de l’activité.

1. Matrice curriculaire et développement : un ensemble d’éléments en interaction

Figure 0 – Frisch, M. (2016) matrice curriculaire et développement

2. Mise à l’épreuve de la matrice

Nous avons mis à l’épreuve cette matrice en recherche à partir de situations de « recherche-formation » différentes. Par exemple avec le projet de mise en place d’un dispositif de formation qui s’appuie sur la réalisation d’un référentiel bibliographique en formation de formateurs dans le 1er degré (Frisch, 2016). Nous proposons ici deux autres mises à l’épreuve. La première concerne une « recherche-action-formation » effectuée avec des documentalistes formatrices en IUFM devenu ensuite ESPE ; la deuxième concerne une « recherche-intervention-formation » avec des professeurs documentalistes dans le second degré qui se mobilisent autour de la question de la documentation reliée à celle de l’inclusion.

2.1 Modélisation de la mise en interaction des items de la matrice à partir de la recherche-action-formation IDDEE-F et de la technique des regards croisés

Nous poursuivons donc notre exercice de mise à l’épreuve de cette matrice en référence à la recherche-action-formation IDDEE-F [1]

2.1.1 Le contexte de la recherche

La recherche à partir de laquelle nous proposons cette mise à l’épreuve de la matrice est relatée notamment dans un article paru dans la revue Recherches en didactiques (Frisch, 2014). Elle implique les formateurs dans l’évolution des dispositifs de formation, et les incite à inscrire leur démarche dans une perspective curriculaire universitaire. L’enjeu est de mettre au jour et de comprendre comment de futurs enseignants gèrent ce que l’on appelle une « info-diversité » en formation et ainsi construire des critères d’intelligibilité de l’action. Nous avons mis en œuvre des méthodes de regards croisés avec deux groupes pluridisciplinaires focalisant sur un même objet pour observer et analyser l’activité des futurs professeurs des écoles qui élaborent une situation d’apprentissage intégrant de l’information-documentation.

2.1.2 Utilisation de la matrice

Figure 1 – Interaction Dispositif/Espaces

Le dispositif de formation repose sur l’élaboration par les futurs professeurs des écoles d’une situation d’apprentissage. Le dispositif de recherche se bâtit avec l’équipe de formateurs-documentalistes concernée. Il y a deux espaces d’intervention dans lesquels agissent les professionnels : IUFM/ESPE – CRD (Centre de Ressources Documentaires). Et trois espaces dans lesquels se construisent la formation, la recherche, l’analyse : IUFM/ESPE – CRD - Laboratoire de recherche.

Figure 2- Interaction Cadre/Pratiques/Sciences et Disciplines de référence

La formation continue par la recherche constitue un cadre de travail de référence. Deux pratiques sont en interaction : la pratique professionnelle de formation et la pratique pré -professionnelle des stagiaires professeurs des écoles pour préparer une séance. Les sciences de référence sont les sciences de l’information et de la communication, les sciences de l’éducation et les technologies numériques.

Figure 3- Interaction des Sujets-acteurs

La formatrice « sujet-acteur 1 » qui met en œuvre le dispositif de formation est en interaction en amont avec les professionnelles mobilisées « sujets-acteurs 2 » dans le groupe de recherche IDDEE-F en analyse. Les deux stagiaires « sujets-acteurs 3 » préparent une séance pour les élèves de la classe et les élèves destinataires « sujets-acteurs 4 ».

Figure 4- Interaction Projets-Situations

Dans le respect du « réel » de l’activité des professionnels du groupe et en « contre-transposition », à partir des expériences vécues par les acteurs, nous procédons à des choix de méthodes pour l’analyse du Faire, et, constituons progressivement et collectivement notre démarche de travail en formation. Notre projet de recherche en didactique est d’analyser les apprentissages de l’activité avec la technique des regards croisés. Notre projet de formation est de faire évoluer les dispositifs. La situation déclenchante pour la recherche-action-formation est corrélée à un ensemble de constats :

  • l’élaboration de « fiches de préparation type » et d’une forme de formatage ;
  • l’absence dans les préparations de « situations d’apprentissage » ;
  • le besoin d’harmoniser le vocabulaire professionnel ;
  • le fait que les étudiants et les stagiaires présument souvent la recherche sans la faire effectivement. A partir de notre corpus de données filmées, notre regard se porte sur un duo de professeurs des écoles (une jeune femme et un jeune homme) qui préparent une séance intégrant de l’Information-Documentation et qui a choisi de faire rechercher de l’information par les élèves pour élaborer « une carte d’identité du Koala ».
Figure 5- Interaction Situation/Tâche/Objets d’apprentissage

Les stagiaires préparent donc une situation d’apprentissage après avoir choisi une activité de réalisation d’une « carte d’identité du koala ». Ils apprennent à élaborer des tâches pour leurs élèves, par exemple ils écrivent : « Travail sur la sélection des informations à relever et organiser sur cet animal » ; « Représenter une patte puis une empreinte de koala ». Ils apprennent également à élaborer des objets d’apprentissage. Ils évoquent par exemple en lien avec la situation d’apprentissage qu’ils construisent « une situation un peu problème ». Ils se focalisent sur un contenu qui n’est pas info-documentaire : « la patte et l’empreinte du koala ».

En recherche la formatrice réfléchit à l’amélioration de la consigne de formation, car en analyse de la vidéo, le groupe prend conscience de la nécessité de : repenser la formulation de « carte d’identité » ; de la difficulté également pour les apprenants à tenir le contrat didactique, c’est- à-dire de travailler à la fois au niveau de l’information-documentation et à la fois au niveau d’un autre domaine.

Figure 6- Interaction Savoirs/Compétences

La documentaliste-formatrice s’appuie sur le cadre élaboré en amont en recherche-formation avec le collectif. En analyse de la vidéo, nous avons extrait les savoirs de l’action et cherché à comprendre quels types de savoirs et de compétences sont mis en jeu par les différents acteurs.

Un ensemble de concepts et de notions sont évoqués dans les interactions entre les deux étudiants. Ils seront à retravailler en Feed-Back avec la formatrice. Ex : site, cible, Wikipédia, fiabilité, situation-problème, BCD.

Nous faisons ressortir au sujet de l’analyse du faire de la formatrice, un ensemble de compétences : « Effacement/Présence » en situation d’accompagnement ; « Effet de reprise : de leur tâche sur celle des élèves » ; « Accompagnement de moment de rupture » lorsqu’elle leur demande : « est-ce que c’est fiable ? »

A partir de cette recherche, nous dégageons aussi des compétences pour les stagiaires. Celles de : se repérer dans une « info-diversité » ; de structurer le fruit de leurs recherches à un double niveau « pour soi » et « pour autrui » ici les élèves ; de « gérer le rapport entre le travail sur écran et la prise de notes » ; « de prélever de l’information en fonction de supports variés ».

Figure 7- Interaction Moments/Modèles didactiques/(Co-)Construction de savoirs

Un dispositif didactique doit aussi laisser la place à des événements qui n’étaient pas forcément attendus, à l’étonnement, aux tâtonnements des apprenants. Par exemple le moment de découverte par les stagiaires, de la forme de la patte du koala : « une pince à trois doigts ». Pendant un temps ils se focalisent sur ces données. Autre exemple, le moment où les stagiaires, par le jeu des interactions dans le duo, anticipent « le réel de l’activité ». La jeune femme interroge son collègue et lui pose la question : « tu leur donnerais ça toi au cycle 2 ? ». Et lui répond : « moi non c’est trop compliqué ». Nous assistons là, à l’émergence d’un premier « indice de construction de la professionnalité ». Ils prennent conscience en co-construction qu’il y a quelque chose qui ne fonctionne pas dans leur proposition. Nous avons analysé d’autres « indices de construction de savoirs professionnels » : la temporalité de la préparation en intégrant la pratique de recherche ; le choix d’un site adapté au cycle 3 ; la définition progressive d’un objet d’apprentissage pour les élèves ; l’estimation de la faisabilité dans la classe ; l’élaboration progressive de la consigne ; la construction des objectifs par rapport aux informations trouvées réellement et non décrétées en amont de l’activité.

Plusieurs « modèles » didactiques peuvent être convoqués : la démarche d’investigation, le tâtonnement, l’élaboration d’une situation-problème, la co-construction de savoirs.

Par rapport à l’analyse en regards croisés avec les formatrices, nous faisons ressortir une forme d’anthropomorphisme avec l’utilisation de l’expression « carte d’identité » dans la consigne de formation, qui implique que les stagiaires envisagent de travailler à partir de la « carte d’identité humaine ».

2.2 Modélisation de la mise en interaction des items de la matrice à partir d’une recherche-intervention-formation avec le groupe Documentation et inclusion, intitulée « Le Clown et la non collaboration »

Nous vous proposons ici un deuxième exemple de mise en œuvre de la matrice curriculaire d’après la recherche entamée en Octobre 2014 au sein d’IDEKI, avec un groupe de quinze professeurs-documentalistes, intitulé « Didactique de l’Information-Documentation et Inclusion. ».

2.2.1 Le contexte de la recherche

V. est professeure documentaliste, également auteure de la vidéo sur « l’inclusion en Institut Médico-Educatif et Professionnel (IM PRO) et en Unités Localisées pour l’Inclusion Scolaire (ULIS) » qui nous sert de support d’analyse.

Nous sommes dans la salle de l’Ulis. Sur la vidéo nous voyons une première table avec quatre élèves d’Ulis, une seconde table avec trois élèves d’Ulis et un élève d’IMPRO, une troisième table avec deux élèves IMPRO ; un éducateur et une éducatrice d’IMPRO, la professeure d’Ulis.

Par rapport à la thématique du Clown et le travail sur le peintre Bernard Buffet, la production finale demandée aux élèves devrait être un triptyque avec : un tableau avec l’original, un tableau avec la photo « à la manière de » et un tableau en bouchon de liège.

C. et A. ont procédé à une analyse d’un moment de l’activité à partir de cette vidéo le matin, en cherchant à tester un document élaboré l’année précédente en groupe de recherche, intitulé « Grille de lecture et d’analyse de situations mobilisatrices du travail ».

Nous sommes l’après-midi, en grand groupe, en confrontation croisée, il est 14h56.

L’auteure de la vidéo V. est devant le grand groupe et en particulier devant le groupe qui a procédé sans elle à la première analyse le matin, et, devant la chercheure. V. procède à des arrêts sur images pour tenter d’analyser l’activité, en fonction de moments de la séquence qui lui paraissent importants. Elle est directement concernée puisqu’impliquée dans le projet d’établissement.

Nous accompagnons l’analyse de l’activité et nous comprenons qu’il y a une intention réelle de collaboration entre la professeure documentaliste et l’enseignante d’Ulis, mais que les attentes de l’une envers l’autre n’ont pas été formulées clairement au préalable à l’action.

2.2.2 Fragments d’interactions de professionnels en recherche à partir d’arrêts sur image

Dans un premier temps nous procédons à une lecture intégrale de la vidéo, puis, nous respectons les arrêts sur images de la professionnelle. Nous livrons ici des fragments que nous avons choisis, suite à ces arrêts et qui seront analysés avec les indicateurs de l’analyse.

Premier arrêt sur image :

V. : « Alors j’arrête là parce qu’en fait au début du travail elle présente l’objectif, les consignes sur la première production, donc dessiner, elle leur présente les clowns, elle leur demande de dessiner, pas dessiner photographier à la manière de Buffet, donc les élèves devront se grimer pour pouvoir produire le portrait et moi ce qui me surprend là en voyant la vidéo, je l’avais un peu saisi quand je filmais, mais ça me surprend d’autant plus que ce matin on a déjà analysé une autre vidéo, c’est la réaction des enfants qui n’ont pas envie de… déjà j’ai entendu sur le Clown « Oh non » et qui n’ont pas envie de se grimer, et, qui n’ont pas envie d’être photographiés dans cette situation. ».

[…]

Doc. (qui a lu le document le matin) : « Nous on trouvait que même si les IMPRO sont séparés, les autres ont l’air d’être bien ensemble, on voit qu’ils ont l’habitude de travailler ensemble »

M : « Est-ce qu’ils ont l’habitude de travailler IMPRO et Ulis ? »

V. : « Non »

M : « Donc vous voyez vous avez émis une hypothèse en regardant la vidéo et en n’ayant pas forcément tout le contexte ? »

V : « C’est la deuxième fois qu’ils se rencontrent, non c’est la troisième fois qu’ils se rencontraient, ils ont fait un goûter ensemble un après-midi, ils se sont rencontrés cette fameuse deuxième fois, où je ne sais pas trop ce qui s’est passé, je lui demanderai demain, je ne sais pas s’ils ont parlé de ce projet là ou s’ils ont fait complètement autre chose, en tout cas ils se sont vus, mais moi j’étais partie aussi dans l’idée où ça c’était la première séance de cette séquence, voilà, et concernant le travail en tant que tel on ne savait pas encore ce que ça allait donner avant ce jour-là. Les deux personnes que vous voyez au fond ce sont les éducateurs, en rouge c’est la professeure d’Ulis madame X en noir c’est une éducatrice ».

Doc : « c’est l’AVS ? ».

V : « non, c’est l’éducatrice de l’IMPRO et l’éducateur, alors elle je ne sais pas si elle est éducatrice ou monitrice éducatrice ce qui dans la hiérarchie n’est pas la même chose mais en tout cas celui qui gère plus les gamins d’IMPRO c’est N. lui il est éducateur. Et donc en fait tout dépendait un petit peu de l’IMPRO parce que c’est l’IMPRO qui est à l’origine du projet mais finalement c’est nous qui lui avons proposé donc c’était un peu... L’idée du travail elle vient du professeur d’Ulis et de moi, alors que la thématique elle vient d’IMPRO il voulait travailler sur les arts du Cirque … ».

[…]

Deuxième arrêt sur image :

[…]

V. : « Et il y a Emie qui est venue me le dire « moi madame j’aime pas les Clowns, moi les Clowns ça m’a toujours fait peur »…

M : « T’avais raison de réagir sur cet aspect, c’est un peu implicite parce que sur la vidéo … ».

Doc : « Non, on l’entend ».

M : « Ah oui, on l’entend ».

V. : « Alors moi je suis allée la voir, puisqu’elle m’a interpellée à ce propos et j’ai essayé de la rassurer et je lui ai dit oui c’est normal d’avoir peur des Clowns, tout le monde peut avoir peur des Clowns à un moment donné, mais tu sais, peut-être que travailler là-dessus et de construire ton propre dessin du clown va te permettre de mieux appréhender le clown et qu’après il te fera moins peur. Et elle avait l’air plutôt réceptive à ce que je lui ai dit et c’est une des gamines qui a le mieux bossé sur le clown ».

[…]

M : « Moi j’ai une question à partir de ce moment-là l’info-doc elle est où ? ».

V : « y’a pas… ».

N. : « Le choix des photos là de Clown ».

M : « Mais, ne lui souffle pas sa réponse »… (Rires…)

V : « J’ai pas…j’ai pas…. Y’en a pas ; Y ‘a pas de recherche documentaire, je vois un peu où sont les failles je le savais déjà avant de travailler…en fait ce qui s’est passé c’est que moi je voulais la voir pour qu’on pose un temps pour qu’on construise, c’est la première fois que je fais un travail, un projet avec elle … ».

M : « donc on est déjà sur une démarche de collaboration qui est importante ».

[…]

V : « Mais là effectivement ce qui aurait été intéressant c’est que je fasse avec elle, avec des élèves la démarche de recherche. Moi je n’aurais même pas imposé Buffet. »

N : « elle est un peu là quand même, parce qu’il y a un moment, enfin c’est plus à la fin de ta séance, enfin de l’extrait vidéo, à un moment quand l’élève insiste sur le choix du Clown tu dis « tu peux faire une recherche par rapport au titre de l’œuvre ? ».

[…]

N. : « mais à la fin de ta séance quand un élève insiste pour le choix du Clown tu peux faire une recherche par rapport au titre de l’œuvre ».

V : « oui mais c’est là, elle m’a en fait, je ne veux pas critiquer, mais elle m’a un peu coupé l’herbe sous les pieds parce que moi je ne savais pas comment cette séance-là allait se passer. Je suis arrivée, j’ai découvert, je me suis adaptée, et, moi je ne pensais pas qu’elle allait exposer comme ça des œuvres et leur faire choisir comme ça. Je ne savais même pas qu’elle avait choisi Buffet. » […] Là il y a un couac. ».

N. : « Tu sais ce n’est pas un couac, parce qu’on travaille toutes un peu comme ça… »

[…]

2.2.3 Utilisation de la matrice pour lire l’activité

Figure 1- Interaction Dispositif/Espaces

La professeure documentaliste fait le choix dans la mise en place de son dispositif de recherche de disposer le matériel audio-visuel pour enregistrer les images d’un point fixe. L’espace dans lequel a lieu la recherche intervention est le centre de ressources d’une professionnelle impliquée également dans la recherche, chargée de mission auprès de l’inspecteur, co-intervenante dans la recherche et la formation, sur site. L’espace dans lequel les professionnels et les élèves agissent et dans lequel la documentaliste en recherche filme est une salle de classe dédiée à l’ULIS (Unité Locale d’Inclusion scolaire) pour les élèves en situation de handicap inclus au collège/au Lycée/au LEP.

Figure 2- Interaction Cadre/Pratiques/Savoirs de référence

Le cadre de recherche est une recherche-intervention commanditée par l’inspection en collaboration avec l’institution ESPE, le LISEC (laboratoire) nous en tant qu’enseignante-chercheure responsable du projet de recherche IDEKI. Plusieurs types de pratiques professionnelles sont en interaction : Pratique de collaboration ; Pratique d’inclusion ; Pratique info-documentaire. Dans les pratiques des apprenants, il s’agit de développer des compétences de savoir-être, de vivre ensemble, culturelles et info-documentaires. Plusieurs types de savoirs sont également en interaction : en arts plastiques, en info-doc, en rapport aux Besoins Educatifs Particuliers.

On peut noter du point de vue de l’identité professionnelle de la professeure documentaliste, qu’elle est bien ici une enseignante faisant partie d’une équipe éducative, qu’elle est amenée à articuler des problématiques éducatives, pédagogiques, inclusives, et didactiques d’enseignement-apprentissage.

Figure 3- Interaction des Sujets-acteurs

Les sujets acteurs sont : la professeure - documentaliste qui filme « sujet-acteur 1 », les 3 élèves de l’IMPRO et les 5 élèves en Ulis « sujets-acteurs 2 », une éducatrice, un éducateur, une professeure d’Ulis « sujets-acteurs 3 ».

On peut se demander s’il n’y a pas là une forme de sur-inclusion : avec le projet d’inclure des élèves d’IMPRO en Ulis, donc une nécessité plus importante d’accentuer les professionnalités.

Il est important de co-agir, d’accepter les différences voire l’étrangeté, les temps longs.

Figure 4 –Interaction Projets/Situations

Le projet consiste pour l’IMPRO à montrer un jeu de production d’élèves lors des journées portes ouvertes : « à l’IMPRO ils organisent des journées de portes ouvertes et pour ces portes ouvertes là ils font une production avec le collège qu’ils exposeront ». « L’IMPRO veut essayer d’intégrer ces enfants qui ont des handicaps beaucoup plus forts, plus lourds ». Les professionnels éducateurs, la professeure documentaliste, l’enseignante d’ulis veulent mettre en place un projet de collaboration. La situation mobilisatrice de travail choisie par l’enseignante d’Ulis est la présentation d’une sélection de clowns pour se grimer, se photographier « à la manière de…. » Bernard Buffet. La situation déclenchante en recherche est la prise de conscience que la figure du Clown proposée et le peintre choisi Buffet, ne sont pas forcément les choix les plus pertinents pour les apprenants.

Le travail de collaboration n’a pu se réaliser comme les professionnelles l’auraient souhaité. C’est au moment de la distribution de la consigne que la professeure documentaliste qui filme découvre que l’enseignante n’a pas prévu dans son activité de temps où les élèves seraient en situation de recherche. Ils ne sont donc pas associés au choix du peintre. Il n’y a pas vraiment de prise en considération du « déjà-là » des élèves. Cela va avoir des répercussions immédiates.

Figure 5 –Interaction Objets d’apprentissage/Situation/Tâche &Visées

Le moment de la recherche documentaire et informationnelle n’a donc pas été préparé conjointement. Seule l’enseignante d’Ulis a procédé aux choix proposés. Les objets d’apprentissage explicites du point de vue des professionnels sont : le travail sur « les arts du Cirque », « l’apprentissage de la vie en société ». Mais les modalités du travail n’ont pas toutes été explicitées entre les professionnels - qui pourtant sont dans une démarche réellement collaborative - comme par exemple apprendre à faire une recherche documentaire sur les Clowns. L’activité proposée est de se photographier en clowns « à la manière de Buffet ». La tâche est que élèves devront se grimer pour pouvoir produire le portrait photographié. Avec pour visées de : faire « à la manière de » et « d’exposer ensuite les œuvres qu’ils auront réalisées ». Ce qui implique pour eux d’être confrontés à leur propre image, parfois à des conflictualités, à des dimensions métapsychiques, socio-affectives.

Figure 6- Interaction Moments/Modèles

Les répercussions de cette collaboration, pour l’instant embryonnaire, sont que les élèves ont du mal au départ à être enrôlés dans l’activité, qu’ils contestent le projet. La professeure documentaliste qui a filmé et participe à l’analyse de l’activité revient sur un moment qui lui a paru important, lorsqu’elle évoque : « Et il y a E. qui est venue me le dire « moi madame j’aime pas les Clowns, moi les Clowns ça m’a toujours fait peur » ». Au sujet de sa propre pratique la professionnelle poursuit : « Je suis arrivée, j’ai découvert je me suis adaptée… ». Le modèle d’apprentissage proposé aux élèves est un modèle de l’imitation « à la manière de… ». Mais les apprenants deviennent prescripteurs de leur propre activité en n’acceptant pas toujours le choix du peintre. Les modèles de formation-apprentissage de la professeure documentaliste sont ceux de l’accompagnement et de l’adaptation pour poursuivre le travail à partir des réactions des élèves.

Figure 7- Interaction Savoirs/Compétences/Connaissances

Différents types de savoirs interagissent : savoir-faire « choisir une figure de Clown », savoir-être « travailler ensemble », capacités « s’inclure ». De même que trois types de compétences sont particulièrement privilégiées dans cette activité : celles liées à la photographie, celles liées au sujet-élève : accepter comme image sa différence, construire son identité.

D’un point de vue des notions, on retiendra celles de « biographie de l’artiste », de « titre » des tableaux. D’un point de vue des connaissances professionnelles intégrées aux pratiques, les documentalistes remarquent, en analyse vidéo, que « c’est la page « Google image » qui est directement projetée aux élèves, qu’il n’y a pas eu forcément un choix ».

V. en recherche-intervention, interpelle le groupe pour savoir comment elle va pouvoir réintroduire plus tard dans le travail un volet plus « info-documentaire ». N. lui suggère de poursuivre le travail de recherche avec sa collègue, peut-être, autour des titres des œuvres et en tenant compte aussi des goûts des élèves.

Nous allons dans le prolongement de ces premières analyses devoir donner la parole à l’enseignante qui a mis en œuvre la séance pour tenir compte de son point de vue et développer le travail de coopération naissant.

Conclusion

Dans l’Enseignement-Education-Formation il nous faut « aller au cœur » de l’activité documentaire et informationnelle pour comprendre ce qui « s’y joue ». Nous avons illustré certains indicateurs « d’efficacité réflexive » dans l’articulation recherche-formation, recherche-intervention-formation présentés dans la conférence : de l’étonnement à la construction d’une problématisation pour agir ; de l’intuition à l’art du questionnement ; de la prise de conscience à la conceptualisation ; de la distinction du « pour soi », « pour autrui », « avec autrui » ; de l’analyse du savoir de la pratique, de l’analyse des apprentissages de l’activité ; itération constante entre vécu, élaboration et communication.

Le curriculum doit s’élaborer en tenant compte de la complexité liée à la mise en interaction de ces différents éléments. La question de l’agir efficacement est aussi reliée à celle de la gestion de l’inédit et des temporalités.

Références bibliographiques

  • CHAPRON, Françoise. (2015). De la pédagogie du document au curriculum en information-documentation. Dynamiques et résistances. Septembre 2015. Disponible à l’adresse : http://congres2015.fadben.asso.fr/De-la-pedagogie-du-document-au.html (Consulté le 28/09/2015).
  • FRISCH, M. (2016 A paraître). Démarches, modèles et concepts en didactique de l’Information-Documentation. Tréma2016. URL : http://tréma.revues.org/. Journée d’étude Modèles et Didactiques à Nantes le 29 janvier 2015.
  • FRISCH, Muriel. (2015). Emergence d’un nouveau concept pour la recherche et la formation : « Efficacité réflexive ». In BENABID-ZARROUK, Sandoss. (Dir.) Estimer l’efficacité en éducation. (pp. 69-104). Paris : L’Harmattan.
  • FRISCH, Muriel. (2014). « Les méthodes de regards croisés en formation : l’exemple d’un dispositif en information-documentation et construction collective de savoirs en recherche-action-formation », Recherches en Didactiques, n°18, déc.2014, p.57-77.
  • LEBEAUME, Joël. (1999). Perspectives curriculaires en éducation technologique. Mémoire d’habilitation à diriger des recherches. Université Paris Sud.
  • REUTER, Yves. (éd.). (2007 ; 2013). Dictionnaire des concepts fondamentaux des didactiques. Bruxelles : De Boeck.
Didactique de l’Information-Documentation, des modèles, des concepts et un prototype de matrice curriculaire dynamique de FADBEN

Notes

[1] IDDEE-F : Information-Documentation-Didactiques-Enseignement-Education et Formation. Equipe locale qui comprenait six professeurs documentalistes - promouvant des actions régulières de formation avec des étudiants du premier et du second degrés -, un enseignant détaché à l’université - travaillant sur les questions des publics à besoins éducatifs particuliers, sur des questions de professionnalisation - et deux formateurs en technologie de l’information communication pour l’éducation - intervenant dans le dispositif C2I.

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