Conclusion

La présente enquête, menée par la FADBEN en mai et juin 2015, portait sur la gestion du CDI, la gestion documentaire et les actions relatives à la promotion de la lecture et à l'ouverture culturelle. Force est de constater, en premier lieu, qu'elle a enregistré une participation sensiblement inférieure à celle des enquêtes précédentes, qui portaient sur les questions statutaires et pédagogiques. Cette observation est importante, en ce qu'elle dénote déjà, en elle-même, des priorités de la profession. Si cet état de fait peut faire perdre en représentativité sur des comparaisons précises ou en termes de croisements entre les réponses, il n'en reste pas moins que cette enquête permet d'obtenir une analyse significative.

Les trois dernières enquêtes, comportant des questions récurrentes, nous permettent de disposer d'éléments fiables, recueillis à partir de panels différents. Ainsi, il ressort que trois professeurs documentalistes sur quatre participent au conseil pédagogique dans leur établissement, ce qui peut paraître peu. 35 à 40 % participent au moins à un conseil d'enseignement, ce qui est relativement faible quand on sait l'importance de l'interdisciplinarité. La proportion d'élus au CA est par contre importante, concernant quatre collègues sur dix, ce qui peut relever de stratégies relatives à la gestion et à la reconnaissance dans l'établissement, au-delà, bien sûr, de l'engagement d'une telle démarche. Les collègues s'identifient par ailleurs dans des fonctions diverses, plus ou moins officielles, de « référents » ; cela renvoie à l'identification d'une mission spécifique dans l'établissement, cette dernière étant parfois inscrite dans nos missions, autour de la culture ou de l'éducation aux médias par exemple, parfois assumée dans la concurrence ou l'accaparement, autour du numérique ou de l'orientation professionnelle.

Le cadre pédagogique : des volontés individuelles sans cohérence nationale

Le professeur documentaliste propose en moyenne sept heures de séances pédagogiques par semaine, avec de grandes disparités ; nous retenons que 80 % des répondants se situent entre 4 et 12 heures en collège, conte 60 à 65 % en lycée GT ou lycée professionnel. Globalement, seul un tiers du panel propose une progression pédagogique, dont seulement un collègue sur cinq en lycée professionnel ; pour autant, un collègue sur deux déclare parvenir à voir toutes les classes sur l'année. Sur ces questions, il convient de n'occulter aucune des deux raisons principales évoquées : l'absence de volonté d'une part, l'impossibilité de faire d'autre part. Contre la première raison, on observe un recours important aux différents dispositifs pédagogiques, prétextes au développement d'une culture de l'information chez l'élève, pour intervenir avec groupes-classes ; cela concerne 60 à 70 % des collègues en collège, 90 à 95 % en lycée. Pour autant, l'absence de cohérence nationale dans les pratiques, soutenue par le modèle de recrutement pérennisé par l'administration, peut expliquer la difficulté à faire valoir la nécessité d'apprentissages systématisés en information-documentation ; on rejoint là le paradoxe de l'œuf et de la poule. D'autre part, l'enquête nous révèle un problème de cohérence dans la conception des CDI, sans qu'il soit évident de trouver un espace d'apprentissages, dans un environnement pourtant privilégié, qui réponde aux recommandations internationales de l'UNESCO et de l'IFLA. Bien souvent, malheureusement, l'expertise des professeurs documentalistes est éludée pour ne considérer que l'approche « médiathèque » du lieu.

Relevant en partie de l'information-documentation, du côté de l'éducation aux médias, la création et le maintien d'un média scolaire concerne la moitié des collègues ; les supports sont variés, le journal imprimé étant largement rattrapé par le numérique et le multimédia. On note qu'un tiers seulement des collègues est favorable à la perspective ministérielle d'un média par établissement scolaire, en précisant bien que la question ne suppose pas que le professeur documentaliste en soit responsable.

La promotion de la lecture auprès des élèves, sous forme de présentations en collaboration, de club, de mise en valeur non formalisée, concerne en moyenne 4 à 5 heures hebdomadaires, là encore avec de grandes disparités. Les moyens mis en œuvre sont variés, observation également valable pour ce qui concerne le travail associé à l'ouverture culturelle des élèves.

Le CDI : un manque de considération pour sa fonction didactique

En ce qui concerne le lieu CDI, dont le professeur documentaliste est responsable, le tableau est plutôt positif, avec un bureau, un espace de travail, un espace lecture, un espace numérique. L'équipement informatique est relativement satisfaisant, avec une réserve professionnelle et/ou financière pour aller vers les liseuses et tablettes, ce qui ne remet pas en question la pratique réellement évolutive des professeurs documentalistes.

Un point pose cependant question, sans doute dans la phase d'élaboration du lieu, mal considéré pour son rôle didactique par la plupart des acteurs de l'éducation et des collectivités territoriales : seule la moitié des CDI peuvent accueillir un groupe-classe, proportion qui comprend deux tiers des CDI de lycée, logiquement plus grands que ceux de collège, au regard du nombre d'élèves accueillis dans l'établissement. Contre les recommandations internationales des Guidelines de la section School Libraries de l'IFLA, les publications de l'IGEN-EVS et de la DGESCO en faveur des 3C ne vont malheureusement pas dans le sens d'espaces d'apprentissages formalisés, et favorisent un accompagnement informel dont certains souhaitent se contenter. L'argument démagogique d'une plus grande ouverture du CDI, sans contrainte de séances, est remis en cause par la nécessité de ces apprentissages, pour ouvrir l'élève aux cultures de l'information et à d'autres lieux de culture ; il s'efface encore devant le constat que l'organisation de telles séances ne présente globalement pas de problème sur le terrain. Notons enfin qu'une majorité de collègues (sept sur dix) est favorable à une ouverture du CDI par d'autres personnels ; cette majorité devient plus importante encore si la pérennisation de ces emplois actuellement précaires, et la formation de ces personnels, sont assurées.

En somme, la question se pose d'un CDI qui serait, pour les tenants du 3C, la solution de facilité aux problèmes structurels des espaces de vie scolaire, remettant en question son rôle didactique. Les priorités de l'IGEN-EVS sur le dossier de la Documentation sont à cet égard problématiques. Dans ce cadre, nous observons également que le responsable de ces politiques, Jean-Louis Durpaire, qui a fait valoir ses droits à la retraite en juillet 2014, continue toutefois d'intervenir pour soutenir ces perspectives ; le développement d'une enquête particulièrement orientée de la part de l'Université de Cergy-Pontoise, autour des espaces de vie scolaire, est symptomatique d'une marche forcée qui peut s'effectuer au préjudice de la profession et des enjeux qu'elle défend sur le terrain.

Les arguments avancés par les professeurs documentalistes, dans leur opposition aux 3C comme à la politique documentaire, s'appuient sur les textes institutionnels, aussi bien pour leur logique d'ensemble qu'à propos d'éléments considérés comme rédhibitoires. A contrario, les collègues qui voient ces dispositifs d'un œil favorable placent leur réflexion sur leur vécu ou les besoins qui apparaissent dans leurs pratiques locales, la logique d'ensemble étant alors rarement évoquée. Toujours sur ce thème, aux questionnements sur le fonds vient s'ajouter un questionnement sur la forme : légitimité des acteurs institutionnels à présenter de tels projets, absence de suivi des expérimentations, éloignement du terrain pour instiller une innovation d'artifice. Dans ce cadre, on décèle l'impact d'un positionnement institutionnel sur les pratiques et points de vue ; les professeurs documentalistes montrent ainsi une propension importante à s'opposer systématiquement au discours de l'institution, tant les propositions de cette dernière peuvent être perçues comme en décalage avec les enjeux professionnels ; une autre posture consiste, d'autre part, à glaner ce qui arrange.

La suite : dépasser le fossé creusé entre le terrain et l'institution

Cette lecture éclate les hypothèses et thèses relatives à la professionnalité des professeurs documentalistes qui ne font que légitimer les décisions de l'institution, en supputant qu'une rupture avec l'existant est lente et complexe, en considération de la diversité de la profession. Sans revenir sur la volonté politique inscrite dans la création du CAPES, les différentes consultations de la profession permettent de considérer que les collègues sont en attente de décisions institutionnelles qui répondent aux enjeux réels, auxquels ils devraient être amenés à répondre ; en l'absence de ces dernières, ils avancent de manière pragmatique, quitte à ce que la profession dans son ensemble soit de plus en plus éclatée, non pas du fait de sa diversité, mais bien d'un pilotage ministériel approximatif.

Le budget, par exemple, ne doit pas dépendre de faux-semblants, d'une concurrence entre projets ou de l'inscription dans une logique d'innovation relevant de la communication. L'enquête nous montre clairement, dans ce contexte financier problématique, qu'il n'y a pas de fatalité pour les CDI : ainsi, de nombreux budgets augmentent ou stagnent. Si l'on ne veut pas jouer avec l'offre présentée aux élèves, dont l'accès à l'information ne peut dépendre de politiques instables, on doit considérer dans tous les cas un budget minimal de 1 500 à 2 000 euros, puis un ratio minimal de 5 euros par élève en dehors de toute dépense relative à la solution documentaire et aux besoins matériels du CDI.

Mais les professeurs documentalistes subissent une communication nationale qui met en avant leur action relative aux médias une semaine par an, une communication locale qui affiche la beauté numérique d'un lieu sans considérer sa fonction. Entre un Conseil supérieur des programmes qui en arrive à donner un rôle pédagogique aux professeurs documentalistes, par petites touches, sans programmes, et une DGESCO qui ne parvient pas, 26 ans après la création du CAPES de Documentation, à accepter l'existence d'une discipline « Information-Documentation », on observe une profession active qui développe au quotidien une gestion intelligente, des actions diverses pour mettre en valeur auprès des élèves la lecture et la culture ; une profession qui doit par contre bricoler pour développer des apprentissages. La communication autour des 3C et de la politique documentaire, que l'on dénonce ici avec les collègues, apparaît donc comme un obstacle à l'innovation ainsi qu'à une évolution positive, alors même que tous les chercheurs et formateurs sont d'accord sur le rôle essentiel que doit jouer le professeur documentaliste, parfois seul, parfois avec ses collègues, dans le développement des cultures de l'information des élèves.