2015
mars
10

Le PIIODMEP

Entre insertion professionnelle et esprit d’entreprendre ?

Le 11 décembre 2014, le Conseil supérieur des programmes (CSP) a adopté un projet de référentiel pour le parcours individuel d’information, d’orientation et de découverte du monde économique et professionnel (PIIODMEP) [1]. La publication de ce texte participe de la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République du 8 juillet 2013 [2]. Comme précisé dans le préambule, ce projet s’inclut dans l’approche globale des travaux du CSP, pour définir un nouveau Socle de connaissances, de compétences et de culture.

Nous envisagerons donc une lecture croisée de ces deux textes à partir du projet de PIIODMEP, afin d’en évaluer les orientations et de déterminer ce qu’il est susceptible d’impliquer pour les professeurs documentalistes dans la pratique quotidienne des axes de leur mission. A cette fin, nous nous proposerons de remettre en contexte la publication de ce texte, selon une perspective historique qui questionne les arguments avancés pour justifier sa finalité. Nous aborderons ensuite les conditions de sa mise en œuvre, avant de nous arrêter sur la place que tiennent le professeur documentaliste et l’information-documentation dans ce dispositif.

UN RETOUR DE L’ESPRIT D’ENTREPRENDRE ?

Dans une première partie, qui est la bienvenue, le CSP présente un bref historique des mesures prises depuis les années 1950 pour mettre en œuvre « différentes formes de sensibilisation au monde économique et professionnel ». En commençant par repositionner cette construction dans la durée, il rappelle d’abord qu’il ne s’agit pas là d’un dispositif absolument nouveau, avant de s’arrêter sur les conditions de l’inefficacité constatée des précédentes dispositions prises dans ce domaine. En l’occurrence, la raison avancée tiendrait, dans l’approche disciplinaire, de l’« écart avec la logique traditionnelle de l’enseignement secondaire ». A partir de ce constat, le CSP formule des préconisations pour la mise en œuvre du PIIODMEP.
Certaines références questionnent cependant par leur absence dans ce rappel historique des étapes et mesures de cette construction. Nous sommes interpellés par l’omission des débats et orientations prises en France à la suite du sommet de Lisbonne (2001). C’est au cours de ce sommet qu’ont été présentés les huit domaines de compétence qui, dans le contexte français, se sont résumés aux sept domaines qui apparaissent dans le Socle de 2006, l’« esprit d’entreprendre » ayant finalement été écarté car porteur de valeurs trop éloignées du modèle éducatif français. On conçoit là, au moins en partie, l’origine de la tension entre les formes de « sensibilisation au monde économique et professionnel » avec la « logique traditionnelle de l’enseignement secondaire ». Mais à ce stade, pour remédier à l’échec potentiel d’un dispositif comme le PIIODMEP, le diagnostic du CSP pourrait être incomplet, du moins si la question des valeurs, notamment celles relevant de la culture humaniste, est éludée.

Afin de développer le PIIODMEP, le CSP s’appuie sur la loi relative à l’orientation et la formation tout au long de la vie du 24 novembre 2009 [3], étayée par un monde du travail en « évolution permanente », pour lequel « l’obligation d’innovation […] est devenue une composante importante ». Dans ce contexte, le PIIODMEP se veut une réponse dont l’efficacité suppose « une culture commune » qui mobilise « les équipes éducatives des établissements, les collectivités territoriales, les parents, ainsi que les partenaires extérieurs en charge d’éducation populaire, culturelle, sportive, environnementale, citoyenne et les représentants du monde économique et professionnel ».

Nous voyons ici poindre deux cultures, l’une humaniste et l’autre issue du monde du travail, cette dernière étant à différencier de la culture technique évoquée par le CSP, dont les représentations historiques sont porteuses de contradictions. Aussi peut-on s’interroger sur la possibilité de leur articulation. La réponse apportée par le CSP tient en l’inscription du PIIODMEP dans le projet de nouveau Socle, sans sortir d’une logique disciplinaire pourtant présentée comme à l’origine des échecs successifs. Par ailleurs, il semble que la réussite de ce parcours s’appuie sur l’implication de l’élève, envisagé à la fois comme acteur et sujet de ses apprentissages. Si la conception d’un élève « acteur » de ses apprentissages, héritée de l’Education nouvelle et des théories constructivistes, n’est pas nouvelle, elle prend une dimension volontariste, dans les démarches actives des élèves, qui semble renvoyer à la notion d’empowerment impulsée par l’Unesco. Cette approche s’articule avec l’idée d’un élève « sujet », dont il faut prendre en compte le développement personnel, ce qui apparaît dans ce parcours avec, par exemple, les objectifs « d’épanouissement personnel et de réalisation de soi ». Il en résulte un paradigme nouveau, fondé sur l’engagement et le projet qui se matérialise symboliquement et concrètement dans l’Objectif 2 (Développer chez l’élève l’esprit d’initiative et la compétence à entreprendre).

QUELLE MISE EN ŒUVRE ?

Paradoxalement, donc, le CSP insiste sur le fait que ce parcours soit inscrit « dans le cadre des enseignements disciplinaires », afin qu’il fasse sens pour les élèves. Au regard des conclusions qui ont été tirées précédemment, nous pouvons nous en étonner. Mais dans la mesure où les nouveaux programmes sont en cours d’élaboration, sans doute pouvons-nous estimer qu’ils auront été conçus pour dépasser les difficultés rencontrées par le passé. Par ailleurs, l’accent est mis sur la formation et, à cet effet, sur l’implication du corps d’inspection. Plus généralement, c’est l’ensemble de la communauté éducative qui est conduite à prendre part au PIIODMEP.

Avant d’aborder les objectifs de ce parcours, une question subsiste au sujet de la grande part d’autonomie concédée aux établissements dans la mise en œuvre de ce dispositif. De fait, si les contenus semblent devoir apparaître dans les programmes, l’absence de cadrage national demande à être questionnée. Cela semble difficilement applicable, soumettant la bonne marche du PIIODMEP à la bonne entente des équipes de direction avec les enseignants, ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas. Enfin, le fait que l’évaluation, quelle qu’en soit la forme, ne soit jamais mentionnée dans ce projet est problématique.

Au sujet des objectifs de ce parcours, les Domaines 3 (La formation de la personne et du citoyen), 4 (Les systèmes naturels et les systèmes techniques) et 5 (Les représentations du monde et l’activité humaine) du Socle commun de connaissances, de compétences et de culture sont d’emblée mentionnés comme étant « particulièrement concernés ». De fait, à la lecture des tableaux qui viennent apporter des éléments concrets à ces objectifs, les Domaines 1 (Les langages pour penser et communiquer) et 2 (Les méthodes et outils pour apprendre) ne sont convoqués qu’à la marge.

Au nombre de trois, ces objectifs se déclinent comme suit :

Permettre à l’élève de découvrir le monde économique et professionnel pour éclairer ses choix d’orientation.
Pour aller à l’essentiel, cet objectif concerne la question du sens, que l’on se place au niveau de la finalité des disciplines scolaires, ou de la mise en place de situations d’apprentissage. On retrouve dans cet objectif la mention de « culture commune » évoquée dans la synergie des acteurs. Sans doute cet objectif est-il à même de susciter des interrogations, dans la mesure où il postule l’utilité d’un savoir pour qu’il fasse sens. C’est là un débat important qui devra avoir lieu.

Développer chez l’élève l’esprit d’initiative et la compétence à entreprendre.
Cet objectif concerne la question de la méthode, avec de larges emprunts aux démarches d’investigation, que l’on retrouve notamment dans les disciplines scientifiques. La tâche complexe, sans être nommée, y est décrite. Cette approche pour le PIIODMEP explique sans doute en partie la raison pour laquelle les Domaines 3 à 5 sont présentés comme déterminants.

Permettre à l’élève d’élaborer son projet d’orientation, scolaire et professionnel.
Cet objectif concerne la question des connaissances opératoires, qui doivent permettre à l’élève de sortir des représentations pour construire son projet d’orientation.

L’ensemble de ces trois objectifs apporte une cohérence au parcours. Cependant, nous pensons utile de prendre le temps d’en questionner la finalité. Sans trop vouloir interpréter, nous trouvons une proximité entre la huitième compétence du sommet de Lisbonne, « l’esprit d’entreprendre », et la formulation du deuxième objectif, « esprit d’initiative et compétence à entreprendre ».

QUELLE EST LA PLACE DU PROFESSEUR DOCUMENTALISTE ?

Evoqué comme tel une fois dans ce projet de PIIODMEP, le professeur documentaliste « veille à la sélection et à la diffusion de l’information dans l’établissement (documentation, auto-documentation, séances d’informations, rencontres...) et organise son appropriation par les élèves (apprentissage de la recherche des sources notamment via Internet). Il mobilise toutes les ressources pertinentes dont celles produites par l’Onisep ». Dans la mesure où le PIIODMEP est abordé au sein des disciplines, cela nous amène à considérer que la formulation retenue, avec une terminologie parfois très surprenante, n’apporte aucun élément nouveau à l’exercice actuel de la mission des professeurs documentalistes qui concerne, entre autres, la sélection et la diffusion de l’information, et son appropriation par les élèves. Il ne semble pas particulièrement pertinent, dans ce cas, d’évoquer spécifiquement le professeur documentaliste dans ce parcours.

Ceci étant, sous réserve que « les techniques usuelles de l’information et de la documentation », évoquées dans le Domaine 2 du projet de Socle, soient en partie de son ressort, il pourrait être amené à intervenir sur les trois objectifs, sans pourtant que cela soit mentionné explicitement dans le PIIODMEP. Selon cette hypothèse, nous pouvons relever ce qui, du point de vue des savoirs théoriques, participe des savoirs de l’information-documentation. En reprenant la formulation du tableau des objectifs, nous pouvons estimer que l’information-documentation a des contenus suffisamment vastes :

  • pour que l’on « identifie les notions qui contribuent à la compréhension de ces principes de fonctionnement du monde économique et professionnel » (objectif 1),
  • pour que l’on puisse s’y référer pour l’ensemble des démarches possibles proposées dans l’objectif 2 (projet collectif, utilisation d’outils numériques, création d’un site internet, participation à la création d’une micro-entreprise),
  • pour que l’on considère que les notions de « support » et de « document », mentionnées dans l’objectif 3, ont une acception info-documentaire, qui donne un sens spécifique à ces notions qu’il est important que les élèves intègrent.

Mais il est vrai que ce deuxième cas de figure suppose que l’on reconsidère ce qu’est l’information-documentation, au-delà de l’angle unique et réducteur de la recherche d’informations. Il semble que nous en soyons encore relativement loin quand il est question de « séances d’informations », sans que l’on ne sache bien ce dont il s’agit. Rappelons ici que si la mise à disposition de « documentation relative à l’information scolaire et professionnelle et l’insertion dans la vie active » incombe au professeur documentaliste, « les tâches spécifiques d’information et d’orientation [doivent] cependant être assurées par les professeurs et le conseiller d’orientation » (circulaire de 1986). Il en va de même des « rencontres », dont l’organisation ne dépend pas des professeurs documentalistes. La portée du PIIODMEP sera donc à suivre sur ces différents points, à supposer qu’il apporte des évolutions. Au niveau de la rédaction de ce texte, la première évolution pourrait être de considérer comme acquises les qualifications des professeurs documentalistes, sans devoir renvoyer à la lecture de la circulaire de mission, comme si elle n’allait pas de soi. La seconde, à l’apport indéniable de ces professionnels qui, s’ils ne peuvent réaliser l’intégration du parcours au cœur d’une discipline, peuvent le faire au cœur d’un enseignement désormais largement théorisé.

CONCLUSION

Il serait incertain, à l’heure où les nouveaux programmes ne sont pas encore parus, d’être trop affirmatifs sur ce que recouvre le PIIODMEP. Nous nous contenterons donc de formuler quelques interrogations sur les prolongements effectifs de sa publication et sur les conditions de sa mise en œuvre.

Il y est question d’une « culture commune » du monde du travail qui, par assimilation au déclassement de la culture technique, devrait se forger contre les « logiques traditionnelles de l’enseignement secondaire ». Nous estimons que les cultures humaniste, technique et « du monde du travail » doivent pouvoir co-exister. C’est du reste le projet de la circulaire de 1997, à laquelle l’ensemble des professeurs est attaché.

Au-delà, nous percevons une réelle difficulté de mise en œuvre, pour une construction au sein des disciplines, alors même que ce serait là la raison de l’échec des précédentes tentatives pour sensibiliser les élèves au monde économique et professionnel. Mais, une nouvelle fois, des éléments nous manquent pour avoir une vue d’ensemble sur ce qui se met en place.

De même, il est complexe de pouvoir évaluer ce que ce texte modifiera dans le quotidien des professeurs documentalistes. Quelques formulations appellent à une certaine vigilance mais, surtout, l’on attendrait plus dans l’expression d’un rattachement à ce qui est attendu du corps professoral, sans devoir en être distingué.

Notes

[1CSP. Projet de référentiel pour le parcours individuel d’information, d’orientation et de découverte du monde économique et professionnel. 11 décembre 2014. Disponible sur : http://cache.media.education.gouv.fr/file/CSP/15/8/Projet_de_referentiel_pour_le_parcours_individuel_d_information_d_orientation_et_de_decouverte_du_monde_economique_et_professionnel_379158.pdf

[2Loi n°2013-595 pour la programmation et la refondation de l’école de la République. 8 juillet 2013. Disponible sur : http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000027677984&dateTexte=&categorieLien=id

[3Loi relative à l’orientation et la formation tout au long de la vie. 24 novembre 2009. Disponible sur : http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000021312490&categorieLien=id

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