2013
déc.
1er

Le CLEMI fête ses 30 ans

Le colloque "Citoyenneté et mutations médiatiques : quelle vision pour l’éducation aux médias ?"

Le vendredi 15 novembre 2013, le Centre de liaison de l’enseignement et des médias d’information (CLEMI) organisait un colloque à l’occasion de ses 30 ans  [1]. La FADBEN était représentée par trois membres du Bureau national : Martine Ernoult, présidente, Ivana Ballarini et Florian Reynaud.

Compte rendu des temps forts du colloque "Citoyenneté et mutations médiatiques : quelle vision pour l’éducation aux médias ?"

Il s’agissait avant tout de fêter cet anniversaire avec les principaux acteurs du CLEMI, en particulier son fondateur, Jacques Gonnet, et la directrice actuelle, France Renucci. C’était l’occasion, après trois décennies d’existence, de proposer un bilan, mais aussi des perspectives, ancrées dans l’actualité de l’inscription de « l’éducation aux médias et à l’information » dans le loi de refondation de l’École du 8 juillet 2013 [2].

Depuis sa création, le CLEMI s’intéresse essentiellement aux mass-médias et à l’information d’actualité, de la presse imprimée à la presse en ligne, en passant par les blogs et l’utilisation des réseaux sociaux pour diffuser cette information. L’objectif est, comme l’ont affirmé Jacques Gonnet, puis Évelyne Bévort, d’introduire au sein de l’école une éducation à l’actualité et au politique afin d’apprendre la démocratie, l’usage des médias d’actualité permettant de développer les pratiques démocratiques. Pour France Renucci, les actions du CLEMI sont avant tout tournées vers l’expression des élèves, dans une perspective citoyenne. Dès lors, les mutations médiatiques sont essentiellement considérées du point de vue de leur impact sur l’expression citoyenne, plus particulièrement dans la sphère journalistique, comme le souligne Jean-Marie Dupont : quel nouvel équilibre va se créer entre la libre expression mise à la portée de tous et la parole des journalistes ? Dès lors, un rôle est à (re)donner au public dans la déontologie des journalistes dont la première fonction est de vérifier l’information, fonction devenue primordiale dans un contexte où règne une certaine insécurité informationnelle.

C’est dans ce cadre épistémologique que se situe traditionnellement l’éducation aux médias (EAM) et que continue à se situer le CLEMI malgré l’évolution actuelle vers l’éducation aux médias et à l’information (EMI). On aurait pu toutefois s’attendre à la mise en avant de notions émergentes, telles que, par exemple, l’identité numérique citée par Jean-Marc Merriaux, directeur général du CNDP, en introduction du colloque, puis par Louise Merzeau dans son intervention. Mais les communications portaient davantage sur les médias d’actualité, ainsi que sur l’utilisation et la production de médias en classe.

La première plénière proposait un bilan des dispositifs d’éducation aux médias dans différents pays du monde : au Royaume-Uni, au Portugal, aux États-Unis, en Belgique, en Argentine, en Allemagne. Tout en saluant l’action du CLEMI, qui a pu être un précurseur, une source d’inspiration, dans ces différents pays, les intervenants regrettaient la difficulté à développer cette « éducation aux médias », avec de grandes disparités selon les pays. Notons les avancées récentes en la matière des institutions belges, avec le Conseil supérieur de l’éducation aux médias (CSEM) qui a publié très récemment une brochure : [3]. Une discussion intéressante a été menée sur le concept de literacy, marquée par une tension entre une acception globale du concept et son éclatement en différentes entités.

La deuxième plénière a été consacrée à l’évolution des médias, avec un questionnement sur les « enjeux de citoyenneté démocratique ». Les propos portaient essentiellement sur les médias d’actualité avec, par exemple, les interventions d’Hervé Brusini, de France Télévisions, et d’Edwy Plenel, de Médiapart. Louise Merzeau, enseignant-chercheur en Sciences de l’information et de la communication, a toutefois élargi le débat en dépassant la question des contenus médiatiques circulant sur les différents supports, pour aborder la question plus vaste du « processus de mise en traces » lié à la généralisation du numérique et à celle des dispositifs éditoriaux. Pour elle, il convient de « passer d’une pensée du support à une pensée de l’environnement ». Aujourd’hui l’ordinateur est « diffus », créant par là une intelligence informationnelle qui est un mixte entre diffusion et support. La question actuelle est de savoir dans quelle mesure toutes ces prothèses techniques sont des machines éditoriales qui organisent la connaissance. Louise Merzeau ouvre ainsi la réflexion vers une pensée de la technique qui élargit le concept de média à sa dimension technique et non plus seulement aux acteurs et aux contenus. La communication de Thierry de Smedt reprendra cette conception élargie du média qui fait sans doute défaut à l’approche qui reste celle du CLEMI.

Louise Merzeau a de même critiqué l’entrée éducative par les « dangers des médias ». C’est, selon elle, se tromper de cible, dans la mesure où le danger le plus grand est, actuellement, celui qui vise le collectif. Ce qui est menacé c’est la possibilité de maintenir des espaces communs face à une organisation du web et des réseaux de plus en plus tournée vers la création d’espaces ciblés offrant un accès toujours plus individualisé à une information « sur mesure ». Dans ce contexte, elle a souligné la nécessité d’aider les élèves, par des apprentissages, à organiser leur espace informationnel propre, en prenant appui sur leurs pratiques, qui sont loin d’être négligeables et que l’école ignore souvent pour leur apprendre ce qui serait, selon elle, les « bonnes pratiques ».

Lors du groupe de travail de l’après-midi auquel nous avons participé, sur « Le numérique, vers une nouvelle éducation aux médias et à l’information », Thierry de Smedt est parti d’une vision élargie du média, qui est à la fois un objet technique, un objet informationnel et un objet social, pour insister sur les changements apportés par le numérique à l’univers médiatique. Prenant appui sur une vidéo de la philosophe Isabelle Stengers, il situe la « révolution médiatique » liée à l’émergence d’Internet dans la continuité de celle de l’imprimerie. Abondant dans le sens de Louise Merzeau, il pense avec I. Stengers que face aux « risques d’Internet » il faut inventer des « collectifs pensants ». Il conclut sur les compétences liées au numérique qui, tout en revisitant les compétences de lecture et d’écriture, ajoutent de nouvelles compétences liées à la navigation et à l’organisation : naviguer/organiser, ce sont là les nouveaux champs de l’EMI par rapport à l’EAM.

De ce groupe de travail, nous retiendrons en outre, en complément de ce qui a été dit lors de la plénière sur l’éducation aux médias dans le monde, quelques propos de Renée Hobbs. Elle précise ainsi que « nos attitudes et croyances concernant les médias, les technologies et la culture populaire déterminent comment nous les utilisons pour apprendre et enseigner ». Jacques Piette, de l’université de Sherbrooke au Québec, et Stéphanie de Vanssay, professeure des écoles, présentent tous deux des projets pédagogiques, pour illustrer le sujet de la table ronde. Pour le premier, il s’agit de créer un support médiatique interactif avec les élèves, afin de développer la créativité et la contribution. Pour la seconde, il s’agit d’utiliser Twitter avec les élèves, en l’intégrant aux séquences pédagogiques. Cet outil permet de développer des compétences variées non seulement en écriture, mais aussi en introduisant un nouveau rapport aux médias et une réflexion sur l’expression médiatique (que puis-je dire lorsque je m’exprime en public ?). Il a finalement peu été question des acteurs pédagogiques.

Lors du débat, nous sommes intervenus à deux reprises. Une première question a été posée sur l’entrée par une « éducation à ». D’un point de vue sémantique, on peut se demander si l’EMI doit rester une « éducation à », ou si cette éducation ne relève pas plutôt de compétences spécifiques, de savoirs et de savoir-faire qui justifieraient l’existence d’un enseignement de l’information et des médias pour l’acquisition d’une culture informationnelle. Dans cette logique, cette « éducation à » ne suppose-t-elle pas un enseignement spécifique, avec un acteur spécifique, en l’occurrence en France le professeur documentaliste, sans toutefois remettre en question l’articulation à maintenir entre les différentes disciplines ? Du terme d’enseignement, on passe à celui de discipline dans les réponses données. Renée Hobbs se prononce pour une discipline. Geneviève Jacquinot-Delaunay, représentant les Sciences de l’éducation, estime que la création d’une discipline signifierait la mort de « l’éducation aux médias ». Jacques Piette et Thierry De Smedt partagent ce positionnement.

La seconde intervention au débat est revenue sur la thématique même du groupe de travail, à savoir les changements dus au numérique dans la perspective de l’actuelle EMI. L’avis des intervenants a été sollicité quant à une conception de l’EMI ouverte sur une convergence des littératies médiatique, informationnelle et informatique (ou numérique), désignée par le terme « translittératie ». Dans cette perspective, aux compétences développées par l’EAM sur une posture citoyenne et démocratique face à l’actualité, viendraient se joindre, d’une part, les compétences informationnelles sur la création, la production et la circulation de l’information, ainsi que sur la recherche et l’évaluation de l’information, d’autre part des compétences plus techniques en informatique. En sachant que les frontières entre ces trois domaines sont poreuses et s’imbriquent fortement. Cette conception de l’EMI développerait auprès des élèves des compétences relevant d’une vision intégrative ouverte sur les trois dimensions du média développées par Thierry de Smedt, à savoir le média pensé à la fois en tant qu’objet technique, informationnel et social. Aucun des intervenants ne s’est prononcé sur cette vision de l’EMI...

La conclusion du colloque fut en partie donnée par Catherine Becchetti-Bizot, IGEN, responsable du projet « stratégie numérique ». Cela a permis de préciser pour tous les perspectives concernant cette nouvelle « éducation aux médias et à l’information ». Celle-ci prendrait appui sur le Socle commun de compétences et connaissances, ce qui nous semble plus léger qu’une prise en compte spécifique des savoirs associés à l’information et aux médias. Sans qu’il soit question de créer une « discipline », l’EMI pourrait, par contre, prendre la forme d’un enseignement sur des « temps mutualisés », lors d’activités de type pluridisciplinaire. Catherine Becchetti-Bizot a fait référence à la conférence de Lyon, « Cultures numériques, éducation aux médias et à l’information », qui s’est tenue en mai 2013, au sujet des modalités de mise en œuvre par le Conseil supérieur des programmes (CSP).

Nous conclurons sur notre ressenti au terme de ce colloque. Si quelques ouvertures ont été apportées par certains intervenants sur les contenus d’enseignement qui pourraient être ceux de l’EMI et qui dépasseraient, sans les rejeter, ceux de l’actuelle EAM, force est de constater que le CLEMI reste sur une vision très traditionnelle de l’éducation aux médias qui ne fait que s’adapter aux « nouveaux médias » en restant sur des thématiques et des activités déjà anciennes, bien que réactualisées. L’éducation à l’actualité dans la perspective citoyenne et démocratique du savoir vivre en société avec et par les médias, la connaissance, l’utilisation et la participation aux mass-médias, restent le cheval de bataille du CLEMI. Aussi nobles, respectables et essentiels soient ces objectifs auxquels il n’est en aucun cas question de renoncer, n’y aurait-il, pour le CLEMI, guère plus qu’un changement d’étiquette dans le passage de l’EAM à l’EMI ?

Pour les professeurs documentalistes, la question se pose, selon la FADBEN, d’une articulation du curriculum info-documentaire dans le dispositif légale de l’EMI, dans le cadre d’une culture informationnelle globale.

Ivana Ballarini, Florian Reynaud, Martine Ernoult

Notes

[1Le programme disponible sur le site officiel du CLEMI national : http://www.clemi.org/fr/les-30-ans/programme/

[2Article 53 de la LOI n° 2013-595 du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République. Disponible sur : http://www.legifrance.gouv.fr/affic...

[3« Les compétences en éducation aux médias. 09/2013 disponible sur : http://www.educationauxmedias.eu/ou...

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